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Malheur au téméraire : Abandonné de Dieu,
Quel miracle il faudra pour qu’il rentre au saint-lieu !
Je sais que même alors la liberté lui reste,
Et l’espoir du pardon, et la grâce céleste ;
Mais par la liberté l’Ange est tombé du ciel,
Et l’homme a préféré Satan à l’Éternel !
Depuis la double chute et de l’Ange et de l’homme,
Oh ! combien pour le mal est vaste ton royaume :
En lutte avec la chair et l’esprit orgueilleux,
Il te faut le secours de la grâce des deux ;
Mais tu résistes même à la divine grâce ;
Pour te forcer au bien elle est inefficace ;
Ton pouvoir est si grand qu’il semble illimité ;
Ton pouvoir brave Dieu, brave l’éternité ;
Et par le désespoir s’ouvrant le sombre abîme,
Ose d’un fol orgueil se faire la victime !
Ô faculté sublime, ô terrible pouvoir,
Ô glaive à deux tranchants que l’on tremble d’avoir,
Liberté ! liberté ! source de tout mérite,
Source impure du mal sur la terre maudite !
Ô noble privilège, ô formidable don,
Tu peux, avec la grâce, obtenir le pardon
De tout forfait ; tu peux, en ta douleur sincère,
Laver tous tes péchés dans le sang du Calvaire ;
Et trompant les efforts de l’Enfer éternel,
Comme un astre éclatant, faire entrer l’âme au ciel !
Mais tu peux, résistant à la grâce suprême,
Préférant à la foi le doute et le blasphème,
Aux œuvres de l’esprit les œuvres de la chair,
Plonger l’âme rebelle en l’insondable Enfer !…
Le bonheur d’un démon, c’est de perdre les âmes :
Ah ! puissé-je en peupler les éternelles flammes !
Quand l’orgueil croit planer au sein du firmament,
Je mesure sa chute à son élèvement !
L’orgueil de Lucifer a créé la Géhenne,
La nuit du désespoir, du remords, de la haine !
L’homme, endurci par moi, dans sa perversité,
Pécherait, s’il pouvait, pendant l’éternité :
C’est l’éternel esprit d’orgueil, d’indépendance,
Qui fait du sombre Enfer l’éternelle souffrance !
La volonté perverse a corrompu la chair ;
La volonté perverse éternise l’Enfer !…
L’Enfer ! c’est blasphémer, c’est haïr, c’est maudire ;
C’est enflammer sa soif aux laves du délire ;
C’est dire à tout espoir un désolant adieu ;
C’est l’absence d’amour, c’est l’absence de Dieu !

 Ah ! pour moi, le bonheur c’est de perdre les âmes ;
Oui, les femmes par l’homme, et l’homme par les femmes !
D’un divin mysticisme affectant les dehors,
En séduisant l’esprit je domine le corps ;