Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 17 )

Malheur à qui s’arrête et se tient à l’écart,
Et d’un temps qui n’est plus arbore l’étendard !
Le silence, la paix, l’oisive solitude,
Du cloître et du désert la sainte quiétude,
Tout cela c’était bon et louable autrefois ;
Mais le zèle aujourd’hui doit suivre d’autres lois :
Nos sauvages déserts, nos forêts primitives,
Ne doivent point s’ouvrir aux colombes plaintives ;
Mais au bruit de la hache et des chemins de fer,
Et des chars emportés de l’une à l’autre mer ! »
Voilà ce qu’ils ont dit, voilà ce qu’ils vous disent,
Les hommes qu’en ces jours de grands mots électrisent ;
Les hommes d’action, les hommes de progrès,
Dont le siècle bruyant a formé son congrès ;
Voilà ce qu’ils ont dit, ces flatteurs de la foule,
Qui n’ont jamais connu que l’orage et la houle :
Mais le contemplatif suit son mystique attrait ;
Et l’ermite en repos, au fond de la forêt,
Sans s’émouvoir des flots de la mer en furie,
Dans le recueillement, veille, s’exalte et prie ;
Il demande à l’amour, à l’intuition,
Des mystères divins l’intime vision…
La logique jamais de l’amour n’est la reine ;
L’amour sera toujours la force souveraine ;
Par l’esprit raisonneur le cœur est comprimé :
« Jésus-Christ n’est connu qu’autant qu’il est aimé ! »
La grande et sainte école est dans la Thébaïde ;
L’amour, de la science est l’échelle rapide ;
Et les secrets du ciel, les hautes visions
Germent, dans le repos, du feu des oraisons !
L’esprit métaphysique, escorté de nuages,
Ne voit les vérités qu’à travers des images ;
Mais le cœur par l’amour goûtant ces vérités,
Reçoit, en s’oubliant, de soudaines clartés. —
Allez ! chefs insensés d’interminables luttes ;
Subtils instigateurs des plus vaines disputes ;
Vous ne verrez jamais devant votre raison
S’ouvrir et s’éclairer l’extatique horizon ;
Et tandis que l’amour, armé de la prière,
Comme un aigle baigné d’une ardente lumière,
Plane au plus haut des cieux avec humilité,
L’esprit n’entreverra qu’une froide clarté !
La science est promise aux bonnes vieilles femmes,
Aux vierges, aux enfants ; Dieu la donne à ces âmes,
À ces pauvres d’esprit, sublimes amoureux,
Que le Saint-Évangile appelle « Bienheureux ! »
Tout chef-d’œuvre idéal, accueilli par la gloire,
Est sorti radieux d’un obscur oratoire ;
C’est à l’ombre du cloître, et loin des vains regards,