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Qu’en leur éclat divin ont fleuri les Beaux-Arts ;
Du cloître ont rayonné les splendeurs virginales ;
Les austères clartés des vastes cathédrales ;
Tout ce que la matière, en son essor hardi,
Peut exprimer du cœur quand le cœur est ravi ;
Tout ce que les couleurs, la toile qui s’anime,
La flèche qui s’élance, ont d’audace sublime,
L’épanouissement, l’éclat, l’expression,
L’ensemble harmonieux de la perfection,
Tout ce que l’homme admire et contemple en extase,
Quand son cœur transformé s’illumine et s’embrase :
C’est l’œuvre d’un Mystique, en quelque obscur séjour
L’œuvre de la prière et l’œuvre de l’amour !
Les pieux chevaliers de l’Ordre monastique,
Tout embrasés d’amour, en leur zèle mystique,
De la seule Beauté divinement épris,
Ont entraîné les cœurs et conquis les esprits !
Par eux l’enthousiasme et l’ardent héroïsme,
La prière a ravi le sceptre au syllogisme ;
Et la Muse a chanté, dans un rhythme enflammé :
« Jésus-Christ n’est connu qu’autant qu’il est aimé ! »
Dans les siècles de foi, d’amour et de prières,
Hélas ! bien différents, du « siècle de lumières »
On vit naître partout ces héroïques saints,
Que suivaient aux déserts d’angéliques essaims.
La Muse virginale et saintement féconde,
En subjuguant la chair et méprisant le monde,
Sous le voile claustral ou le casque d’acier,
Du martyre enseignait le glorieux sentier ! —
La science discute, et l’amour est poète ;
L’amour franchit l’abîme où l’esprit froid s’arrête ;
Et l’extase muette, et le ravissement,
Ouvre à son vol divin le plus haut firmament,
Le ciel où dans son vol n’atteint pas le génie,
Où ruisselle à flots d’or l’éternelle harmonie,
Et dans lequel fleurit, comme un lys étoile,
L’Idéal par la terre à nos regards voilé !…
Que ce siècle aveuglé, dans son ivresse active,
Condamne avec orgueil l’âme contemplative ;
Qu’emporté par le feu qu’alimente l’Enfer,
Il tourmente sa vie et ses chevaux de fer ;
Du matin jusqu’au soir, et du soir jusqu’à l’aube,
Du bruit de la vapeur qu’il fatigue le globe :
Loin du chaos bruyant de ce siècle aveuglé,
Heureux l’Ermite en paix, heureux l’homme isolé ?
Des abdications l’exemple n’est pas rare ;
Autrefois Célestin abdiqua la tiare :
Abdiquer, c’est régner, en cessant d’être roi ;
C’est échanger de sceptre, en triomphant de soi !