Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 271 )

J’ai vu venir Antoine, et Paul, premier ermite,
Arsène, Hilarion, et Siméon Stylite,
Et Pacôme, et Macaire, et le nombre infini,
Que l’amour attira dans le désert béni ;
Ephrem, Basile, Ambroise, et Grégoire et Jérôme,
Tous ces grands orateurs, rivaux de Chrysostôme ;
Tous ceux, qui m’admirant et qui me défendant,
Ont propagé mon règne au bout de l’Occident. —
J’ai vu croître, abreuvés de la sève ascétique,
D’innombrables rameaux de l’Arbre Monastique :
Cassien, Isidore, Honorât et Martin ;
Romuald et Bruno, Benoît et Célestin ;
Et sous des cieux divers étendant leurs ombrages,
Offrir des abris sûrs, des ports à tous les âges ;
Et ces asiles saints ont été les remparts,
Où se sont conservés les Lettres et les Arts ! —
Îles, forêts, déserts, sommets inaccessibles,
Rochers battus des flots, bois et vallons fertiles ;
Landisfarne, Iona, Sainte-Barbe, Lérins,
Abris hospitaliers d’ermites pèlerins ;
Mont-Cassin et Mouron, Alverne et Vallombreuse,
Cellule de Manrèse et Cloître de Chartreuse,
Lieux qui ne sont connus que des cœurs détachés,
Et qui pour les mondains furent toujours cachés : —
Vous avez vu venir les Reines et Princesses,
Déposant à mes pieds leurs sceptres et richesses ;
Vous avez vu venir, se pressant par milliers,
Les Dames qu’escortaient tant de Preux Chevaliers ;
Vous avez vu courir, à travers les épreuves,
D’héroïques enfants, des vierges et des veuves ;
Vous avez vu prier, souffrir, tous ces héros,
Dont les chants éveillaient de célestes échos ;
Oui, j’ai régné longtemps par l’amour angélique ;
Mon règne, en ces beaux jours, fut un règne ascétique ;
Sous le joug de l’esprit soumettant toute chair,
De mon œil jaillissait un poétique éclair ! —
Et j’avais vu venir, comme une faible image,
Thérapeute, Essénien, Gymnosophiste et Mage ;
Les Sages de Chaldée et de Grèce émigrés ;
Et les Prêtres d’Égypte, aux mystères sacrés :
Toujours les cœurs d’élite ont vécu solitaires ;
Ils ont toujours aimé les études austères ;
À l’ombre de mon temple ils se sont abrités ;
Ils ont appris de moi les saintes vérités. —
Depuis l’exil d’Éden et l’ère des prophètes,
Sages, héros et saints, artistes et poètes,
Tous les cœurs rayonnant de lumière et d’amour,
Je les ai vus venir, ensemble ou tour à tour. —
Oh ! qu’autrefois mon règne était beau sur la terre !
Tout l’Orient n’était qu’un vaste monastère ;