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Ce frère, Dieu l’a pris ! — gémissante colombe,
En jetant ses adieux au désert du Lacombe,
Comme autrefois Saint Jean à Pathmos exilé,
Loin d’un refuge aimé, triste, il s’est envolé !
Mais la forêt de pins, la cellule-oratoire,
Chaque arbre, chaque fleur, garde encor sa mémoire ;
Et chaque oiseau plaintif, caché dans le cyprès,
Semble en tous ses accords exhaler mes regrets ! —
L’orage, en soulevant bien des vagues amères,
A séparé de moi les âmes les plus chères ;
Et mon cœur résigné, sans se plaindre du sort,
Dans un exil glacé n’attend plus que la mort !
Ô bonheurs de la terre, espoirs, vaines promesses !
Adieux si courts, suivis de si longues tristesses !
Affections d’un jour, qui germez dans la chair,
Vous ne laissez au cœur qu’un désespoir amer !
Seigneur, soyez béni ! car malgré ma tristesse,
Je sens de votre amour la sévère tendresse !
Je ne dois, je ne veux aimer que vous, Seigneur ;
Je dois, Seigneur, je veux vous donner tout mon cœur !
Pour peupler à vous seul ma sainte solitude,
Pour affranchir mon cœur de toute servitude,
Mes parents les plus chers et mes plus chers amis,
Seigneur, dans votre amour, vous me les avez pris !….
Ah ! bienheureux Gauthreaux, ce jeune et grave apôtre,
Dont la gloire a passé de ce monde dans l’autre ;
Bienheureux, en sa mort, l’héroïque Gauthreaux :
Il a conquis le ciel dès ses premiers travaux !….
Ah ! bienheureux surtout, ô Félix, ô mon frère,
Ton fils prenant son vol vers la céleste sphère ;
Ignorant du péché, sans souillure du mal,
Encor resplendissant de l’éclat baptismal,
Par la mort affranchi de ses terrestres langes,
Cet enfant glorieux chante au milieu des Anges ;
Pour les tiens et pour toi, dans l’éternel séjour,
Son âme se répand en prières d’amour !
Lorsque meurt un enfant, l’Église est sans tristesse ;
Ses hymnes de triomphe expriment l’allégresse ;
Un chaste enfant de moins, c’est un ange de plus ;
C’est un astre nouveau dans le ciel des élus !…
Ô doux frère, à mon sort attaché dès l’enfance,
Et dès lors partageant ma joie et ma souffrance ;
Ô toi, dont l’amitié, cette fleur de l’amour,
Répandit son parfum dans mon calme séjour ;
Toi, dont l’étoile a lui quand le ciel était sombre ;
Toi, dont l’éclat toujours a resplendi dans l’ombre ;
Amitié de mon frère, invariable aimant,
Dans l’abandon de tous, unique dévoûment !
Amitié de Félix, parfum, lumière et flamme, —