Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
( 49 )

Pour de vulgaires fronts, de politiques nains,
Prodigues de trésors, s’ouvriront ses deux mains ;
Mais pour orner le front du barde et du prophète,
Elle manque de fleurs, quand vient le jour de fête !
Et si le barde, au ciel guidant son char de feu,
Quitte la terre ingrate et remonte vers Dieu ;
S’il meurt ! — et si son nom s’inscrit au nécrologe,
Sur le marbre funèbre, alors fleurit l’éloge, —
Dérisoire oraison, panégyrique amer,
Dans un champ désolé fleur éclose en hiver !…
 Pour que toutes les voix cessent d’être muettes,
Pour qu’on parle de vous, mourez donc, ô poètes !
Le jour de votre gloire est le jour des douleurs ;
C’est sur votre cercueil que l’on sème des fleurs ;
Vivants, on vous laissait dans un oubli morose ; —
Morts, vous aurez l’éloge avec l’apothéose !
Oui, voila votre sort, contemplateurs du Beau : —
La faim pendant la vie et la gloire au tombeau !  !
 Mais chantez, malgré tout ; chantez sans amertume ;
Que de vos pleurs secrets chaque vers se parfume :
Il est béni le barde, étranger en tout lieu,
Qui, fidèle à la Muse et fidèle à son Dieu,
Dans sa fidélité trouvant sa récompense,
À l’or, aux vains honneurs préfère la souffrance !
Il est digne d’envie, — : heureux en son malheur, —
L’apôtre mendiant, l’harmonieux chanteur,
Qui, partout accueilli comme un hôte inutile,
N’oppose que l’amour à la froideur hostile :
Quand vous plaisez au monde et qu’il vous applaudit,
Malheur, malheur à vous ! — c’est que Dieu vous maudit !
Malheur à qui reçoit, dans sa famille en fête,
Par les siens admiré, les honneurs du prophète !
Car jamais la famille, ou natale cité,
Ne souffre en ses enfants l’esprit de vérité ! —
Des Zoïles régnants pour éviter l’outrage,
Le poète attristé se voile dans notre âge ;
Son âme vibre, hélas ! en ces temps malheureux,
Dans un diapason trop élevé pour eux !
Autant que la vertu, le génie est mystère ;
On le craint, sans l’aimer ; — son culte est trop austère !


le poète.


Ah ! j’ai vu l’égoïste, armé d’un lourd niveau,
Le promener partout, sur l’âme et le cerveau ;
La loi d’égalité, c’est la loi qu’il proclame ;
De son souffle de glace il éteint toute flamme ;
Stérile en son esprit, autant qu’il est étroit,
Son langage est un glaive aussi tranchant que froid ;
Applaudi par la foule, et par elle célèbre,