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Et ne pouvant monter au niveau de son front,
Du fond de leur bassesse ils lui jettent l’affront :
Mais il a dans son Dieu le témoin qui le juge,
Le témoin qui l’écoute et lui sert de refuge.
Par le mensonge, en vain, l’habile iniquité
Pense ternir l’éclat dont luit la vérité ;
En vain, pour obscurcir sa radieuse route,
Elle pense amasser les nuages du doute :
La gloire brillera, dans toute sa splendeur,
Sur le front du génie orné de la candeur !
Le peuple a dans son cœur cet instinct qui devine,
Et la voix populaire est une voix divine !
 Sois tranquille, ô génie, enfant nourri de pleurs ;
La gloire suit de près d’homériques douleurs ;
Le laurier veut un front que le sort persécute ;
Le malheur nous épure et prévient notre chute ;
Et toujours la patrie, — oublieuse un moment, —
Comme une mère en deuil, réclame son enfant ;
Et dans les doux transports d’une sainte allégresse,
Lui donne autant de fleurs qu’en prodiguait la Grèce !…
Et nous tous, qui t’aimons, nous parlerons un jour :
La haine a moins de fiel que nous n’avons d’amour !
Et la vertu toujours, en sa féconde vie,
Trouva le dévoûment à côté de l’envie ! » —


la muse.


Les élus de la Muse, ainsi que ceux du ciel,
Sont enivrés souvent du calice de fiel ;
Ils cueillent, à l’écart, et la myrrhe et l’absinthe ;
Pour eux la Solitude ouvre sa vaste enceinte ;
On les voit, sans pitié chassés de chaque lieu,
N’avoir plus pour ami, dans ce monde, que Dieu ! —
De flots en flots amers, battus par la tempête,
Loin de la foule enfin, un dernier flot les jette !
Ainsi l’aigle, ce roi de l’océan des airs,
En lutte avec la foudre, et ruisselant d’éclairs,
Dans un suprême effort, tendant son envergure,
Tombe au plus haut rocher dénué de verdure !…
J’aime les cœurs en deuil et les fronts foudroyés ;
J’aime à les rencontrer, loin des sentiers frayés ;
J’aime l’enfant auquel la douleur virginale
Révèle par l’amour la splendeur Idéale !
Loin du monde toujours, je parle à mes élus ;
Je m’isole avec eux, sous les arbres touffus ;
Je les mène au désert, où l’âme s’illumine,
Où dans le cœur descend la vision divine ;
Où l’esprit plus tranquille, en son recueillement,
Reflète avec amour l’idéal firmament :
Tel un lac azuré, tranquille entre ses rives,