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L’Europe en vain s’agite, et rêve d’autres Rois :
Vers le libre Occident l’Aigle a suivi la Croix !
 La raison et la foi, dans leur sainte alliance ;
La splendeur des Beaux-Arts unie à la Science ;
L’hymen surnaturel, l’heureuse intimité
De la Religion et de la Liberté :
Voila d’où sortira la palingénésie,
Le progrès social de la Démocratie ;
L’Ordre, depuis longtemps par tous prophétisé ;
L’Idéal politique enfin réalisé !
 Je renonce à l’Europe, aux saintes Monarchies,
Aux Institutions des nations vieillies,
A tout ce qui repose, en son antiquité,
Sur l’Aristocratie et sur l’hérédité !
De sa lourde prison comme un oiseau s’échappe, —
Aux Césars, que l’orgueil arme contre le Pape,
A l’ignoble police et la force du fer,
A ces gouvernements qu’inspire Lucifer,
Mon âme libre échappe ; et dans sa fuite chante
Sur le vaisseau bercé par la vague écumante ! —
 Je renonce à l’Europe et je renonce aux Rois ;
Je suis vers l’Occident le soleil et la Croix !
Je t’adopte pour mère, Amérique bénie ;
Je t’apporte mes biens, mon âme et mon génie ;
Je jure, en m’abritant sous ton saint pavillon,
De défendre, d’aimer ta Constitution ;
De défendre, d’aimer la Grande République,
Comme j’aime et défends l’Église Catholique ;
Et de mon bouclier couvrant la Liberté,
De vivre et de mourir pour ta prospérité !
Si, devenant parjure et traître à la patrie,
Au lieu de t’exalter, je t’insulte et renie, —
Comme un vil étranger, indigne de pardon,
Chasse-moi sans pitié du sol de Washington !
Si je rougis de toi, dans mon ingratitude ;
Si je vante l’Europe, en sa décrépitude ;
Comme un de tes enfants, si je ne t’aime pas ;
Si je regrette ici le joug des Potentats,
Ô Pays de mon choix, ô Patrie adoptive :
Que mon âme, en exil, redevienne captive !…
Mais comment te haïr ? mais comment oublier
Le Peuple généreux, le sol hospitalier,
Où libre, en sa grandeur, a tressailli mon âme ?
Ah ! l’époux dévoué n’aime pas mieux sa femme, —
La vierge qu’entre mille, avec un chaste amour,
Il a su distinguer, pour orner son séjour ;
Non, l’époux n’aime pas son épouse choisie,
Ave plus d’abandon et plus de poésie,
Avec plus d’héroïsme et d’abnégation,
Que je ne t’aime, ô belle, ô grande Nation !