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Pour nourrir tant d’enfants, en ta maternité,
Qu’il t’a fallu d’amour et de vitalité !
Ces fils dénaturés ! en leur secrète envie,
Ils meurtrissent le sein qui leur donne la vie !
Écoute-les parler : à leur accent moqueur,
Tu sauras avec qui sympathise leur cœur ;
Sans cesse, avec fureur, te prodiguant l’offense,
Ils osent s’étonner qu’on prenne ta défense ;
Et de tes ennemis se faisant les échos,
Ils voilent ta beauté pour montrer tes défauts !
Ces pseudo-citoyens ! on les a vus naguère,
À ton preux champion faire une lâche guerre ;
Ils se sont élevés, — bruyante légion, —
Pour le combattre au nom de la Religion :
Mais Brownson de son cœur se faisant un asile,
Semblable, dans sa force, au grand bœuf de Sicile,
Mugit, — sans s’émouvoir de leur esprit taquin. —
Patriotique voix du Peuple Américain !
 Jamais de sa patrie, et jamais de sa mère,
Dans son enthousiasme, un fils ne désespère !
Oui, malgré tous les maux, fidèle en ses amours,
Contre toute espérance, il espère toujours !
Mais toi, fils adoptif, de ta jeune patrie
Tu prédis chaque jour la prochaine agonie ;
Tu sembles désirer la révolution,
Pour voir cesser plus tôt notre forte union ! —
Insensible au bonheur de ma grande patrie,
Tu ne rêves que l’or de la Californie ;
Le sable étincelant a charmé tes regards
Plus que l’éclat voilé du Temple des Beaux-Arts ;
Tu t’inquiètes peu, pourvu que le sort t’offre
De quoi choyer ton ventre, en remplissant ton coffre ;
Et ton patriotisme est dans l’amour du gain,
Ce vil amour qui seul te fit Américain !
Attiré par l’aimant de la Californie,
Tu ne lui donnes pas ton âme et ton génie ;
Et si tu tiens à l’ordre et veux la liberté,
C’est pour mieux réussir en ta vénalité !
Toujours l’esprit marchand, et l’esprit exotique
Chez un peuple ont tué l’esprit patriotique ;
Et je plains le Pays, qui nourrit dans son sein
Des enfants adoptifs le dévorant essaim !


Le sol natal ! chaque homme à tout sol le préfère,
Comme à toute autre femme il préfère sa mère ;
Et de son nom blessé chaque homme est le vengeur,
Comme il venge sa mère atteinte en son honneur !
Une mère pour nous, ah ! c’est plus qu’une femme !
Ton sourire, Amérique, a fasciné mon âme ;