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La foi ne détruit pas l’esprit national ;
Elle s’adapte à l’homme, à son climat natal ;
Et Dieu peut faire éclore, au sein des solitudes,
Où n’arrivent jamais les blanches multitudes,
Loin des regards de tous, des fleurs de sainteté,
Brillant d’un vierge éclat, dans leur sauvageté !
Telle apparut, au Nord, dans sa grâce enfantine,
Fleur-de-la-passion, la bonne Catherine ;
Près du Sault Saint-Louis, près du Caughnawaga,
Elle n’admit que Dieu dans son humble tchouka !
Éclose loin du monde, au bord de la prairie,
Elle aima sa tribu, son inculte patrie. —
 La foi ne détruit pas l’esprit national ;
Elle s’adapte à l’homme, à son climat natal ;
Et de l’enfant des bois, fidèle au cabanage,
Elle fait un chrétien, mais un chrétien sauvage !
Sans déposer son arc et sortir de ses bois,
Du Grand Livre de vie il peut suivre les lois.
Le sage, en sa grandeur, habite une cabane ;
Le bourgeois, pour loger sa nullité profane,
Se bâtit un palais, dont la froide grandeur
S’indigne du néant de son vain possesseur :
Ainsi les Pharaons, au prix de mille vies,
Dans le pompeux orgueil de royales folies,
Pour loger la grandeur de leur double néant,
Construisaient pour palais un sépulcre imposant !
 Je n’ai jamais compris, dans ma liberté sainte,
Ayant le ciel pour toit, le désert pour enceinte,
Qu’entre des murs glacés, dans un enclos poudreux,
Tout un peuple à l’étroit pût habiter heureux !
Je comprends du chasseur l’existence nomade ;
Mais du froid citadin, oh ! que la vie est fade !
Je comprends au désert les courses d’Ismaël,
Mais des vassaux mondains, que le sort est cruel !
Ils apprennent par cœur le code d’étiquette ;
Le costume de l’un sur l’autre se reflète ;
Le masque y brille mieux que l’ingénuité,
Et l’usage abolit l’originalité ;
Oui, la nature en tout doit céder à l’usage ;
Oui, l’esclave insensé trône au-dessus du Sage ;
En sa grave folie, admiré par des fous,
Lui, dont nous rougissons, ose rougir de nous ! —
O du monde orgueilleux corruption profonde !
C’est le Christ qui l’a dit : « Malheur ! malheur au monde ! »
Que je plains des cités les pâles prisonniers,
Du luxe paternel frivoles héritiers !
Ont-ils connu la vie, enfermés dans leur cage ?
Est-ce vivre que vivre au sein de l’esclavage ?
Que les biens sont par eux chèrement achetés !
« C’est Dieu qui fit les bois, et l’homme les cités ! »