Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/117

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me pleure courbé sous le joug d’Adam, l’Église, pour le consoler, et pour alléger ou déguiser sa peine, a retenu les chants de tous les âges pour les chanter tous les jours à ses enfants. Aussi, est-elle par-dessus toutes les autres sociétés la reine des chants et des cantiques. Elle chante dans ses joies et dans ses douleurs, dans ses prières et dans ses actions de grâces. Elle chante sur l’homme vivant, et puis elle chante encore sur l’homme mort. Toujours elle chante, sa voix n’est qu’un perpétuel cantique.

« Voici un fait : maintenant, non seulement l’Église chrétienne, mais tous les peuples, tout l’univers parle à Dieu, avec harmonie, rhythme et mesure. Avant, plus nous remontons à travers les âges, plus nous nous rapprochons de Dieu, plus nous trouvons de chants et de poésie dans la bouche des hommes. Car, entendez : à mesure que vous vous rapprochez davantage du commencement, votre oreille est frappée davantage de l’universalité des chants : les premiers monuments de l’histoire des peuples sont des chants ; les peuples ont d’abord chanté, ils ont écrit ensuite, a dit Chateaubriand. Après la vie, au-delà des siècles, ce que nous en savons, c’est que les chants y seront continués ; l’hosanna, l’alleluia, le trisagion, seront éternels. Réfléchissons, encore un coup ; il y a ici sacrement et mystère. Qui sait ? La poésie est peut-être la voix primitive de l’humanité, cette voix que Dieu avait donnée à l’homme. Dans notre état primitif, nos paroles étaient de la poésie, et nos discours des hymnes. Et en effet, si l’harmonie, la mesure, si une ravissante douceur et une divine et irrésistible puissance, constituent la poésie, quel torrent de poésie que ces paroles par lesquelles Dieu se communiqua à sa créature, lorsqu’il lui montra la beauté de ses œuvres. Quelle poésie dans cette voix des anges qui venaient converser avec les hommes ! Qui sait ? Nous venons de trouver l’explication de cette parole, qui retentit encore dans tout le monde, que la poésie est le langage des Dieux, et que le poète est un prophète, un voyant, un inspiré d’en haut………

« Aussi, de loin en loin, sans qu’on sache pourquoi, il se trouve quelqu’un de nos frères, qui se sent intérieurement saisi, dominé, rempli de l’esprit poétique. Ne lui demandez pas à lui-même, pourquoi ? Il ne sait, il ne se connaît pas ; seulement, il se frappera le front, et vous dira : « J’ai quelque chose là ; il faut que je chante. » Il chante donc. » (Annales de philosophie chrétienne, 2d. vol. p. 365 et 366. A. Bonnetty.)

Ainsi, qu’on ne soit pas surpris que nous ayons parlé de poésie, dans un chapitre sur la vocation à la vie solitaire et contemplative : — entre la solitude, la vie contemplative et la poésie, il y a une relation intime ; le poète véritable est un contemplatif de l’ordre le plus élevé : — tel était Saint-Jean de la Croix, cette âme si mystiquement élégiaque. Qu’on ne soit pas surpris, non plus, que nous ayons parlé de la nature et de son influence : la nature, ce poème, cette harmonie, cette image matérielle et ravissante de Dieu, la nature agit d’une manière merveilleuse sur une organisation nerveuse, sur une âme mélancolique et contemplative ; elle l’attire, s’empare d’elle, et la domine, en rétablissant en elle l’ordre, l’équilibre, le calme universel ; elle la dispose à l’étude, à la prière et à l’amour divin ; et l’âme, ainsi élevée et ravie, trouve tout en elle, — solitude, musique, poésie, livre et miroir des plus hautes instructions ascétiques.

Mais après cette longue et apparente digression, reprenons notre sujet principal, et procédons par des autorités, qui sont irrécusables parce qu’elles ne sont pas poétiques :

« Le P. Rossignoli nous dit, dans son excellent ouvrage, Du Choix d’un État de vie : la grâce S’ADAPTE À LA NATURE ; ceux qui sont d’un tempérament mélancolique, et qui aiment le repos et la retraite, se sentent attirés vers la solitude et le désert.

« Pour ce qui est du penchant naturel, on demeure d’accord, à la vérité, qu’il est en quelque manière nécessaire pour se déterminer à vivre dans la retraite ; car il est très rare qu’on se porte aux choses pour lesquelles on n’a pas d’inclination : mais on soutient qu’il ne suffit pas seul pour rendre la solitude chrétienne ; il faut y joindre des motifs spirituels. »