Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/128

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Dans un remarquable volume, ayant pour titre, De l’importance et de la manière de connaître sa vocation, et imprimé à Clermont-Ferrand, en 1831, nous lisons les lignes suivantes, à la fin de la note troisième :

«  Si les besoins particuliers d’un pays invalidaient la vocation religieuse, il en résulterait qu’en tout temps, il y aurait certains pays, et quelquefois très-vastes, dans lesquels on penserait que Dieu n’aurait droit d’appeler personne à la vie religieuse, ce qui serait absurde et tout contraire aux décisions des Souverains Pontifes, qui veulent que tous les Supérieurs ecclésiastiques concourent au besoin à la propagation des ordres religieux, sans excepter les temps de disette de prêtres, qui a toujours existé en certaines contrées, et qui d’ailleurs souvent n’a guère d’autres remèdes que l’établissement des ordre religieux. L’Église n’a jamais supposé et ne supposera jamais, quels que puissent être les besoins spirituels d’un pays, que Dieu ne puisse y appeler des hommes à la pratique des conseils évangéliques, à la vie religieuse ; ce serait mettre des bornes au domaine de Dieu, à l’efficacité de la grâce, et prescrire à la providence une marche forcée pour secourir les fidèles. » (page 72.)

« L’état ecclésiastique est exposé à plus de périls que la vie religieuse, et n’a pas les mêmes ressources. Les pasteurs et ceux qui partagent leur sollicitude et leurs fonctions, sont obligés de vivre au milieu du monde, sans se laisser affaiblir par ses mauvais exemples, et sans prendre aucune part à sa corruption ; ce sont des Médecins spirituels, toujours environnés d’une multitude de pestiférés, dont la vue seule est capable de donner la mort. Pour se soutenir dans une situation si périlleuse, il faut une vertu bien plus solide, plus enracinée, plus éminente, que pour se sanctifier dans le saint repos de la solitude, où les secours sont plus abondants, les tentations plus rares et moins redoutables ; où des exercices continuels et sanctifiés par l’obéissance, préviennent l’ennui, et fixent la légèreté de l’esprit humain ; où des pratiques pénibles et mortifiantes affaiblissent la cupidité, et rendent la victoire de la charité sur les passions plus sûre et plus facile. Une vertu faible, mais sincère, trouve dans le cloître des secours pour s’affermir et devenir plus pure et plus parfaite ; au milieu du monde, elle s’éteint ou se corrompt. Tel eût été un religieux fervent, si sa piété naissante eût été mise en sûreté dans le port de la solitude, qui a vu s’évanouir peu à peu ses bons désirs, en continuant de vivre avec les enfants du siècle, et n’a été qu’un ecclésiastique mondain et vicieux. » (Apologie de l’état religieux, vol. in 12. p. 127.)

Il faut donc des ordres religieux en Amérique, aussi bien qu’en Italie, en France, en Espagne, dans tous les pays catholiques ; il les faut comme ports pour les naufragés et comme arches pour les justes alarmés.

Si un clergé est affaibli ou dégénéré, s’il a perdu le goût des hautes études, l’esprit de zèle et de charité apostoliques, l’esprit d’enthousiasme et de désintéressement, il n’y a que dans la solitude, ou dans les Congrégations régulières, qu’il puisse se retremper, s’instruire et s’enflammer de nouveau ; il n’y a que là qu’il puisse RAPPRENDRE l’Évangile.

« Ce n’est pas seulement l’histoire, (nous dit le P. Lacordaire) qui témoigne de la nécessité des Ordres religieux ; il suffit de regarder autour de soi pour s’en convaincre. Quelles ressources possède aujourd’hui l’Église de France, (et à plus forte raison l’Église des États-Unis), pour former les prédicateurs et les docteurs dont elle a besoin ? Si rare talent qu’un jeune homme ait reçu de Dieu, y a-t-il en France (et dans les États-Unis) un Évêque qui puisse lui donner du tems, le temps qui est le père nourricier de tout progrès ? À peine sorti du séminaire, le besoin de sa subsistance le jette dans une paroisse, ou il détient ce qu’il peut, tourmenté par de secrets instincts de sa vraie vocation, incertain entre ce qu’il fait, et ce qu’il voudrait faire, jusqu’au jour, où la maturité survenue lui enseigne la résignation parfaite à la volonté de Dieu, et où il ne songe plus qu’aux bonnes œuvres qui sont en son pouvoir.

« Si, au contraire, il s’abandonne à son attrait, attrait peu sûr d’ailleurs, s’il sort de la vie commune, à l’instant commence pour lui une carrière hérissée de difficultés. Le besoin l’oblige à se produire beaucoup trop jeune ; il n’a point de