Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/136

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« le ; là, que le sceptre du génie est mis aux mains de la médiocrité, parce que l’intrigue y grandit ce qui est petit et y rapetisse ce qui est grand ; là, que la haine est mise en commun et presque jamais l’amour ; là, que toutes les petites passions, sortant des coins les plus obscurs de l’esprit et du cœur, s’étalent sous les lustres étoiles, comme des reptiles sous un rayon de soleil.

« C’est là, enfin, que le sourire papillonne sur les lèvres, tandis que le cœur, en dépit des plaisirs factices qu’on lui présente, est triste, morose, consumé dans le secret de la vie ; car le rire, comme tout le reste, n’y est qu’un rire d’emprunt, et la joie qu’une joie de passage.

« Qu’est-ce autre chose, en effet, que le monde, sinon un théâtre où l’on change de sentiment comme d’habit, selon le rôle qu’on veut jouer ; une Babel où chacun parle la langue de son voisin et où personne ne parle la sienne, de peur de se trahir ?

« Et l’on voudrait que le bonheur se trouva là ! Le bonheur, s’il existe ici-bas, ne peut être que dans la fixité de la vie, et le monde n’est que l’inconstance même.

« Interrogez ceux qui ont bu, goutte à goutte, la coupe de ses enchantements, inépuisables en apparence, et sitôt épuisés, ils vous diront qu’arrivés au-fond du nuage d’illusions qu’ils croyaient sans fond, ils ont trouvé que ce qu’ils appelaient une vie active n’était qu’une vie agitée, et que si elle leur paraissait remplie, c’était parce que, à leur insu, elle leur était à charge, ou qu’ils prenaient ses ennuis et ses saturations pour des loisirs occupés et des heures sans lacunes. Ils pensaient avoir tout éprouvé, et le vide s’est fait dans leur âme, parce que, au contraire, ils n’ont rien éprouvé de ce qui leur était nécessaire.

« La vérité seule peut remplir le cœur de l’homme, et la vérité ne se trouve que dans la Religion, parce que seule elle a le secret de notre nature et de notre destinée.

« C’est à cause de cela que le monde est en hostilité avec la Religion, et que la cité de Dieu a toujours été dans une lutte perpétuelle avec la cité de Satan, qui est le monde. Or, l’esprit du monde est maudit de Dieu, parce que son esprit est un esprit de vanité et de dissimulation ; et que ce qu’il appelle sagesse est folie, et que ce qu’il appelle vertu n’est que vice et déception. Vous donc qui, ne sachant où traîner le faix de vos douleurs, le portez dans le monde comme dans un lieu de refuge, fuyez-le désormais ; car Dieu n’est point avec lui, et la paix de l’âme n’est pas là où Dieu n’est pas. » (Les épreuves de la vie, page 7 et suiv.)

« N’aimez point le monde, nous dit Saint-Jean, ni ce qui est du monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père céleste n’est point en lui. Car tout ce qui est dans le monde est ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie. Or le monde passe, et la concupiscence du monde passe avec lui. » (St-Jean Ep. 1. ch. 2.15. 16.)

« Tout le monde est sous l’empire du démon ; tout le monde est constitué en malice : — mundus totus in maligno positus est. (St-Jean 5, 19.)

« Malheur au monde à cause de ses scandales : — Vœ mundoa scandalis ! (St-Math. 18, 7.)

Ouvrons, après l’Évangile, notre traité de philosophie, notre abrégé de théologie, nous voulons dire le cathéchisme du diocèse ; et lisons, à la page quatre-vingt-quatrième :

D. Quelles sont les promesses que nous faisons au baptême ?

R. Nous promettons de renoncer à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, et de vivre selon les maximes et les exemples de Jésus-Christ.

D. Qu’est-ce que les pompes et les œuvres de Satan ?

R. Ce sont les vanités du monde et les péchés.

Devons-nous donc nous étonner que Saint-Jean Chrysostome s’écrie avec une sainte alarme :

« Qu’il est difficile de se sauver dans le monde ! Je me représente les mondains comme une armée exposée aux traits de ses ennemis : à chaque instant, on voit tomber une foule de blessés et de mourants ; une grêle de flèches éclaircit les plus épais bataillons. Ainsi, dans le monde, le démon ne porte pas un seul coup qui ne donne la mort ! » (Ex. lib. 3, de Vita monast.)

Où est-ce (dit St-Laurent Justinien) que l’on invente et qu’on met en action toutes sortes d’artifices et de tromperies ? où est-ce qu’il arrive des dissensions, qu’on viole la justice, que la piété est anéantie, qu’on opprime les innocents, qu’on supplante et qu’on outrage les