Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/163

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« campagne dans laquelle Esdras, séparé de la société des autres et éclairé par la révélation divine, rétablit les Livres des Saintes Écritures ; — c’était là que Saint-Jean-Baptiste, mangeant des sauterelles, prescrivait et annonçait aux hommes la pénitence ; c’est la montagne des Oliviers sur laquelle Jésus-Christ se retirait pour faire oraison et pour nous apprendre à la faire ; c’est dans ce lieu que le Sauveur a dit qu’il se trouverait au milieu de deux ou trois, qui seraient assemblés en son nom ; c’est le chemin étroit qui conduit à la vie ; c’est la voie qu’ont tenue les prophètes qui allaient çà et là sur les montagnes et qui se retiraient dans les cavernes et dans les antres de la terre ; c’est là que les Apôtres, les Évangélistes et les saints Solitaires ont conversé d’une manière bien différente de celle du monde…J’ai choisi librement et de bon cœur cette vie austère, afin de pouvoir dire avec vérité, en recevant un jour la récompense selon les promesses divines : « j’ai souffert à cause de l’espérance de vos promesses. »

Heureuse donc, heureuse l’âme qui a pu dire, en se dégageant des liens du monde, et en épousant la solitude :


Vain pomp and glory of this world, I have ye !

(Shakespeare.)

Heureuse, oh ! plus heureuse entre toutes ses sœurs,
Est l’âme solitaire ;
L’âme qui, méprisant le monde et ses splendeurs,
Ne voit qu’avec dédain la coupe des erreurs,
Où s’enivre la terre ;
L’âme qui, toute à Dieu, rêve un autre séjour
Que ce globe imprégné d’amertume et de vase,
Et s’endort dans l’extase
D’un invincible amour !

(E. Turquety.)

Oh ! oui, heureuse et bienheureuse l’âme désabusée du siècle, qui, s’envolant dans la solitude sur les ailes de la colombe, a reconquis la liberté des enfants de Dieu, et choisi la meilleure part qui ne lui sera pas ravie !

Heureux l’homme qui vit et qui meurt solitaire !

(A. Barbier.)


« O holy Solitude ! O happy desert ! O glorious hermitage, where the soul may so easily enjoy its God ! Let us not only run thither, but beg the wings of the dove, that we may fly to it, and find a holy repose ; — let us not stop by the way ; let us notlose time in the frivolous discourse of any one ; let us leave the dead to bury their dead ; we fly to the land of the living, and have nothing to do with death. » (Spiritual combat, p. 272.)

Mais, ô âme héroïque entre les plus héroïques, glorieuse transfuge du monde, amante passionnée de la solitude, sublime héritière de l’esprit des Saints, noble fille de Marie, réprime un moment les élans généreux de ton enthousiasme, et écoute avec attention à quel prix il t’est permis d’espérer le repos du désert, d’embrasser la vie érémitique et contemplative, et d’aspirer à l’union intime avec le Dieu caché : apprends donc, ô âme choisie de Jésus-Christ, pour être son épouse solitaire ; âme marquée du sceau de toutes les douleurs qui nous purifient et nous élèvent en nous détachant des créatures ; apprends à quelles dures conditions, par quelles rudes épreuves et crucifiantes tribulations, à travers quelles eaux amères et quel feu subtil et pénétrant ; apprends par quelle échelle, aux degrés enflammés, tu arriveras à cet état passif, cette solitude, cet exil, ce désert spirituel, où Dieu t’attend, pour te donner l’anneau nuptial et consommer avec toi un mystique hymen ! — Écoute donc, et frémis en toi-même : rappelle-toi la Crèche, le Prétoire, le Jardin des Oliviers et le Calvaire ; prends ton crucifix, ta couronne d’épines, et marche dans le chemin de la croix ; marche au martyre ! Tu auras à souffrir dans le corps, dans le cœur, dans l’esprit ; la maladie, la tristesse et toutes les angoisses t’environneront de toutes parts ; comme ton Époux, tu boiras le calice d’amertume, et tu seras transpercée du même glaive que lui ! — La calomnie ne t’épargnera pas ! — Écoute bien : — tu seras appelée rêveuse, exaltée, enthousiaste, singulière, extravagante,