Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/40

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celle-là qui est le levier invisible, la force occulte, qui remue, révolutionne et change la nature et la société ; c’est celle-là qui opère journellement des prodiges de grâce et de miséricorde ; c’est par elle enfin que le monde subsiste : Sanctorum precibus stat mundus.(Rufin, præf. in vitas patrum.)

Écoutons parler un Solitaire Auvergnat :

« Si notre esprit, moins fasciné par les sens, consacrait à l’étude des lois fondamentales de l’ordre le temps qu’il donne à la frivolité, nous comprendrions mieux le rôle immense réservé à la prière dans le gouvernement du monde, et bien certainement nous regarderions d’un autre œil ceux qui remplissent pour eux et pour nous le premier devoir de la créature intelligente…

« Ah ! s’il en est si peu qui prient, et si entre ceux qui prient il en est tant qui se montrent indignes d’être écoutés, la société a donc grand besoin d’hommes qui prient sans relâche et s’efforcent par leurs bonnes œuvres de faire équilibre à nos crimes.

« Quand donc nous verrons une Chartreuse, une Meilleraye, un Couvent de Carmélites, en un mot, une de ces maisons où l’on donne exclusivement à la prière et aux œuvres de pénitence le temps non nécessaire aux premiers besoins du corps, gardons-nous de dire : à quoi bon ces gens-là ? Disons plutôt : voilà ceux qui, jour et nuit, traitent avec Dieu des destinées du monde… Oui, croyons-le fermement, quand, à force de pourchasser les fainéants qui prient, nous serons TOUS DES HOMMES D’ACTION, c’est-à-dire de vrais bipèdes qui ne lèveront les yeux au ciel que pour voir s’il fait nuit ou jour, la parole du prophète s’accomplira : Dieu froissera l’univers dans ses mains comme un livre usé, et le jettera au feu »

Après ce témoignage, produisons un autre de l’abbé Deguerry :

« Les hommes de la retraite, qui semblent délaisser leurs frères, les servent d’une manière efficace et dans des intérêts bien précieux. Les sociétés se maintiennent par les mœurs ; quand la corruption les gagne, elles fusent vite. Or, quel secours puissant pour soutenir et améliorer les mœurs que l’édification donnée par des âmes subjuguant les mauvaises tendances de la nature et l’élevant à la pratique des plus sublimes vertus ! Le récit ou le spectacle des vies magnifiquement réglées excite ceux qui l’entendent ou qui le voient, à régler la leur. Il n’est pas inutile que quelques hommes dépassent le but dans la pratique du bien ; les moins ardents et les plus empêchés reçoivent de ncet exemple des forces pour l’atteindre.

« Élevons-nous à d’autres considérations encore. Que les justes protègent le monde devant Dieu contre les méchants, dont les désordres excitent ses foudres, c’est une vérité bien intime à la conscience du genre humain, puisqu’il l’a toujours et partout confessée. Mais elle est d’une évidence complète aux yeux du chrétien. Le Seigneur ne déclara-t-il pas dans l’Écriture à Abraham qu’il épargnera la criminelle Sodome, s’il s’y trouve tel nombre de vrais fidèles ? La réversibilité des mérites n’est-elle pas le dogme fondamental de la foi évangélique ? N’est-elle pas également la raison des prières faites les uns pour les autres ? Alors, ces hommes qui se dévouent, dans la retraite, aux jeûnes, aux veilles, aux oraisons, à de nombreux et continuels travaux, sont les anges de la terre. Ils rachètent par le bien qu’ils pratiquent, le mal qui se fait ; leurs mortifications conjurent le courroux céleste ; leurs sacrifices sans réserve rendent le Très-Haut propice. Infirmes à leurs propres yeux, trop souvent infirmes aux yeux du siècle, ils le protègent pourtant, ils préservent de la foudre le monde moral : ce sont, dans un sens, de vrais paratonnerres……

« Agenouillés bien souvent au haut d’une sublime contemplation, ils implorent le ciel pour les nécessités générales, ils écartent plus d’un orage, ils obtiendront plus d’un bienfait ; des hommes égarés leur devront la grâce de rentrer dans la foi et les mœurs. Combien aussi, après avoir été le jouet des caprices de leur imagination et des imaginations d’autrui, viendront, dans ces saints asiles, refaire leur esprit et leur cœur, leur conscience et leur conduite. Ils y chercheront et trouveront un refuge contre le bruit de tant de vaines disputes, le mécompte de tant de stériles agitations, et le néant de tant de folles espérances. Oui, plus d’une âme désabusée, ne croyant plus aux promesses de la terre, y viendra respirer du côté du ciel, avec la certitude d’y être plus utile aux vrais intérêts de la so-,