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dans l’esprit et bouillonne dans le sang. L’enthousiasme vient de la plénitude du cœur et de l’intégrité du corps. Aussi, est-il un moyen infaillible d’être pénétré d’enthousiasme, un moyen sûr, positif, que tout homme peut de suite mettre en pratique, c’est la chasteté. Dans la chasteté, l’homme sent tellement son courage grandir et ses facultés prendre une énergie inaccoutumée, qu’il ne se reconnaît plus… Il faut que l’âme, ainsi que les organes, soient enivrés de virginité, pour être embrasés d’enthousiasme.

« Le chaste seul est libre. Lui seul possède toute la puissance du bien, et la vertu ne lui coûte plus rien. Il trouve dans la force de son corps, dans le courage de sa volonté, et dans l’abondance de son cœur, une vie inouïe ; en lui tout déborde ; et l’amour de Dieu est presque une conséquence de sa vitalité. La chasteté nous tient dans une telle plénitude d’existence, elle nous pénètre de tant d’ardeur et d’enthousiasme, que nous sommes presque toujours hors de nous-mêmes et prêts à tout. L’homme chaste est dans un état continuel d’héroïsme ; les grandes et belles actions ne lui coûtent pas plus qu’à tout autre les plus simples devoirs de la vie. Cette vertu fut le secret de tous les grands hommes. Newton, Leibnitz et Kant moururent vierges.

« Mais, qui pourra dire les joies de la chasteté ? La chasteté conserve l’âme dans une éternelle jeunesse. Aussi, rien n’est doux à voir comme l’homme chaste. On le reconnaît, autant à l’énergie paisible de son caractère qu’à l’aménité incomparable de ses mœurs et au sentiment exquis de politesse dont il entoure ses semblables. Il semble qu’il s’est formé de la nature humaine une estime si relevée que cela devient pour lui un besoin de la manifester à tous ceux qui l’entourent. Rien n’est plus gracieux que l’homme chaste ; la paix de sa conscience et la suavité de son cœur se peignent à la fois dans son sourire. Si ses pensées paraissent sévères, les sentiments qui s’élèvent de ce cœur encore plein de mystère sont empreints d’une rêverie qui répand sur toutes ses idées un grand charme de poésie.

« Mais, ce qui surtout distingue l’homme chaste, c’est l’enthousiasme. Bien loin du ton et des manières de ces hommes froids, en qui cette flamme entièrement éteinte annonce déjà la décrépitude du cœur, on le distingue au milieu de tous par l’ardente vivacité de ses émotions. Son admiration pour les grandes choses ne risque point d’être déconcertée par la plaisanterie ; jamais il n’a ri des sentiments élevés et des fortes convictions ; tout ce qui tient au devoir lui est sérieux, et pour lui la générosité est un devoir. Les hommes de ce siècle parlent avec complaisance de leur prudence froide, de leurs calculs d’intérêt bien entendu, de leur peu de disposition à céder aux sentiments : il faut les en féliciter ! Nous savons ce qu’il leur en coûte pour se réduire à cet état de castors civilisés. L’aveu des tristes conseils qu’ils arrachent à la médecine nous révélerait au besoin leur affreux secret. Aussi, j’attribue absolument à l’absence de chasteté tout l’égoïsme, toute l’indifférence, et ce peu d’enthousiasme pour les grandes choses, qui dans notre siècle signalent surtout les hommes d’une certaine classe. Le vice les amoindrit tous les jours, et les ramène insensiblement aux chétives proportions où nous trouvons leur intelligence et leur caractère. Il est impossible de se sentir longtemps entraîné vers les choses nobles et généreuses, il est impossible de brûler du feu sacré, du feu de l’artiste, du héros, de l’homme de bien, lorsqu’on n’a pas la chasteté pour soi. En perdant la chasteté, l’homme perd cette surabondance de vie qui le porte, ainsi que Dieu, à sortir de lui-même ; et il ne lui reste plus de vie que pour prendre soin de sa médiocre personnalité. Il se trouve bien renfermé par force dans l’égoïsme ; son cœur ne peut pas aller plus loin ! L’incontinence amène la faiblesse, la faiblesse amène la crainte, la crainte amène l’avarice et le reste de l’égoïsme, qui n’est, après tout, que le rétrécissement du cœur. Or, si le comble de la joie et de l’enivrement est le partage de l’amour, le comble de la tristesse et de la sécheresse intérieure, devient le partage de l’égoïsme. Pour lui, plus de tendres émotions, plus de consolations divines, plus de douceurs spirituelles : l’égoïste est l’eunuque de la cité de Dieu.

« La virginité, c’est la virilité ! La virginité remplit les artères de sang ; elle gonfle l’âme de puissance. À la moindre pensée, au moindre acte, toute la vie se précipite vers le cœur ; du cœur elle s’élance au cerveau, et l’on sent dans tout son être un courage prodigieux qui vous dévore. Le vierge marche avec l’attitude d’un homme qui a l’habitude de vaincre, et qui jouit paisiblement de sa victoire. Mais montrez-lui une belle action à faire, il tressaille comme un homme qui ne peut croire à ce bonheur inat-