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Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/64

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vices de la charité chrétienne la plus étendue, de n’être pas même effrayé de la peste ? Quiconque ignore ou méprise ces choses n’a de la vertu qu’une idée rétrécie et vulgaire, et croit sottement avoir rempli ses obligations envers Dieu, lorsqu’il s’est acquitté à l’extérieur de quelques pratiques usitées, avec cette froide habitude qui ordinairement n’est accompagné d’aucun zèle, d’aucun sentiment. »

On peut bien, il nous semble, ne pas rougir d’être de l’avis de Burke et de Leibnitz. « On peut bien admirer et aimer ces monastères, qui sont, comme dit Chateaubriand, la sainte montagne d’où l’on entend les derniers bruits de la terre et les premiers concerts du ciel »

« Que de fois, dit aussi le P. Lacordaire, nous avons habité en désir ces forteresses paisibles, qui ont calmé tant de passions et protégé tant de vies »


E’en the storm lulls to more profound repose ;
The storm these humble walls assails in vain ;
Screen’d is the lily, when the whirlwind blows.


(Beattie.)

Mais, malgré ces témoignages des plus beaux génies, on demandera encore : en quoi peuvent être utiles, quelle influence exercent ces hommes qui mènent une vie retirée et contemplative ? Voici la réponse de Saint-Laurent Justinien :

« Encore que leur vie soit estimée inutile par ceux qui aiment le monde, et qu’elle soit regardée comme un état de mort et de sépulture, parce qu’elle n’est point appliquée aux actions extérieures du siècle, elle est néanmions très féconde. La racine d’un arbre est cachée dans les entrailles de la terre. Quand elle est découverte, elle paraît méprisable et difforme ; et cependant c’est cette racine qui produit les branches, l’écorce, les feuilles, les fleurs et les fruits. Tandis que cette racine est vivante et vigoureuse, l’arbre est en vigueur, il croît et fructifie. Mais aussitôt que cette racine est séchée, toute la beauté de l’arbre se flétrit, toutes ses branches deviennent stériles, et il n’est plus propre qu’à être jeté au feu. Or, nous devons penser que la vie des Anachorètes et de tous ceux qui combattent pour Dieu, après avoir renoncé au monde, fait dans le corps de l’Église ce que je viens de représenter que la racine opère invisiblement dans les arbres. »

« Oui, il est faux, dit un autre auteur, de croire que les religieux contemplatifs, pour avoir renoncé aux soins et aux sollicitudes du siècle, soient devenus distraits ou indifférents sur ce qui intéresse l’Église. Ils l’aiment tendrement ; ils prennent une grande part à ses biens et à ses maux ; ils s’occupent de ses besoins ; ils tremblent pour ses périls ; ils s’affligent de ses pertes et de ses malheurs. Du port tranquille de la solitude, où ils sont en sûreté, ils voient avec une sainte frayeur les tempêtes qui troublent la mer, et les dangers qui menacent leurs frères. Leurs mains paraissent immobiles, parce qu’ils ne tiennent pas la rame ni le gouvernail ; mais leur tranquillité apparente prévient le naufrage, écarte ou fait cesser la tempête… En se séparant des hommes, ils rendent plus de services à la société que la plupart de ceux qui y exercent diverses fonctions, qui en possèdent les dignités, et en recueillent les avantages.

« Les religieux contemplatifs et les solitaires sont dans le corps mystique ce que le cœur est dans le corps naturel. Ce sont les solitaires qui attirent sur les travaux des pasteurs l’esprit de vie et de grâce, dont dépend tout le succès du saint ministère ; leurs gémissements rendent féconde la semence évangélique ; héritiers de l’esprit et de la profession des prophètes, ils invoquent sans cesse sur le peuple de Dieu la protection et les grâces qui leur sont nécessaires ; ils sont oisifs en apparence, mais c’est afin d’obtenir à ceux qui travaillent le zèle, la persévérance, le succès ; ils paraissent loin du péril et de la mêlée, mais ils tiennent leurs mains élevées vers le ciel comme d’autres Moïse ; c’est par leurs prières et leurs instances, que ceux qui combattent contre les erreurs et les scandales du siècle, reçoivent le courage et la force dont ils ont besoin pour remporter la victoire. »(Apologie de l’état religieux, p. 18,19 et 20.)

« Si donc, (c’est Balmès qui parle,) les pensées religieuses portent l’homme à une vie austère » si l’attrait de sacrifier les plaisirs de cette vie sur l’autel du Dieu qu’il adore s’empare de son cœur, pourquoi l’en empêcherez-vous ? De quel droit versez-vous le mépris à un sentiment qui, certes, exige une trempe d’âme plus forte que celle dont il serait besoin pour s’abandonner lâchement à la jouissance des plaisirs ?