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« gine, divisées en deux classes. On nommait Anachorètes ceux qui vivaient seuls, et Cénobites, ceux qui se réunissaient dans une même communauté. Ce fut Saint-Pacôme, disciple de Palémon, qui créa dans la Haute Thébaïde, les monastères de Cénobites, vers le commencement du 4e siècle.

« Saint-Amon, sur le mont de Nitrie, et Saint-Antoine à Jutor, dans la Basse Thébaïde, donnèrent naissance aux Anachorètes.

« Ces premiers Solitaires, retirés dans des cavernes ou des cabanes grossièrement formées de branches, de terre et de roseaux, n’avaient pour lit que le sol, pour aliments que les fruits du désert, et quelquefois des vivres qu’ils ne devaient qu’à la charité des habitants des campagnes voisines. — Vraiment dignes du nom de chrétiens, il semblait qu’ils fussent formés d’une autre substance que le reste des hommes, et qu’ils trouvassent l’espérance et la félicité, où le monde ne voit presque toujours que la désolation et le découragement. L’image des plaisirs de la première enfance était bannie de leur souvenir ; les voluptés du siècle, les richesses et le faste des princes ne se retraçaient à leur imagination que comme un songe éloigné, et s’ils pensaient quelquefois à de telles illusions, c’était pour regretter amèrement le temps qu’ils y avaient consacré, et pour le racheter par leur pénitence et par leurs larmes.

« Les livres saints, une croix, une robe d’une étoffe grossière, un siège formé de joncs et de mousse, voilà quels étaient les vêtements et les richesses de ces enfants des déserts. Ni la rigueur du froid, ni l’intempérie des saisons, n’amollissaient leur courage ; la nuit même n’était pas destinée au sommeil. À peine accordaient-ils à la nature quelques instants de repos : le reste de leur temps n’était consacré qu’à la prière, à la méditation et à la lecture… Tous, enfin, ils démentaient la faiblesse de l’homme ; et s’élevant par la pensée jusqu’aux célestes demeures, semblaient habiter à la fois deux mondes et deux sphères différentes. De pauvres religieux, entourés de l’appareil de la mort et de la misère, occupés seulement de leurs fautes ou de leur pénitence, et n’offrant la plupart qu’un corps dépourvu de force et de couleur, attiraient cependant le respect et l’admiration. Leur inaltérable constance, la simplicité de leurs mœurs, la sainteté de leur caractère, étaient les seuls titres qu’ils pussent offrir au monde ou à la renommée ; et ces titres rivalisaient de gloire avec ceux des héros et des sages du siècle. Ni l’isolement dans lequel ils se tenaient ensevelis, ni leurs étonnantes austérités, n’avaient été assez effrayants pour glacer la louange, ni pour affaiblir la célébrité qu’ils avaient si justement acquise. L’homme, naturellement épris de tout ce qui est extraordinaire et sublime, ne voyait qu’avec une noble émulation et un vif enthousiasme, ces illustres défenseurs de la foi, surpasser, dans leurs chétives cellules, les vertus et les austérités des philosophes anciens qui avaient brillé sur un plus grand théâtre. On s’étonnait de les voir joindre au mérite et à la gloire qu’ils avaient conquis, une douceur, une chasteté, une soumission, trop rares chez les hommes, et surtout difficiles à allier avec la haute opinion que les succès nous font concevoir de nous-mêmes.

« De l’admiration au désir d’imiter, il n’y avait qu’un faible intervalle, et cet intervalle fut bientôt franchi. Une foule de chrétiens, de tout âge, et de tout rang, s’empressaient de suivre l’exemple de ces pieux Solitaires, en implorant le secours de leurs leçons et de leur sagesse, pour faire le bien avec plus de succès et s’avancer plus rapidement dans la route de la perfection et de la charité. Ces efforts, ces élans généreux, dictés par l’Esprit Saint, ne demeurèrent pas infructueux : de tous côtés s’édifièrent de nouvelles retraites, dans chaque désert se découvrirent de nouveaux hermitages. Chaque Père eut bientôt près de lui une foule de néophites studieux, remplis d’ardeur pour la parole divine, et de zèle pour l’accroissement de la foi. Ils partagèrent d’abord son modeste asile, mais leur nombre augmentant chaque jour, et les cabanes, que l’on avait élevées autour de l’hermitage, ne pouvant contenir les disciples des saints patriarches, chacun d’eux se choisit à son gré une retraite, ou un monastère, en suivant des règles plus ou moins austères, plus ou moins récentes, mais toutes également saintes.

« C’est ainsi qu’on vit encore longtemps après, les religieux maronites, peupler, au septième siècle, les vastes solitudes du Liban ; les hermites de l’Abyssinie cacher leur existence et leurs demeures près des cataractes du Nil et sur les bords de la Mer Rouge ; les Nestoriens même se répandre le long du Tigre, et tous de s’isoler de la grande fa-