Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/84

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à flots, tout ce que peut donner enfin la créature la plus parfaite, laisse le cœur vide et inquiet : il lui faut l’idéal invisible, l’infini insaisissable ! L’homme est consumé par une soif ardente, et il marche sans trouver sur la terre la source qui peut le désaltérer ; tout ce qu’il a atteint, tout ce qu’il possède, il le dédaigne, il n’en veut plus, il le repousse avec froideur ou dégoût ; rien de ce qui est borné, changeable et passager, rien de la nature, rien de l’homme et de la société, rien enfin de créé, ne peut réaliser son espérance, son rêve, son idéal céleste de bonheur : et cependant, il est fait pour être heureux, il veut l’être, il faut qu’il le soit, dût-il bouleverser l’univers et la société : le bonheur est l’aimant mystérieux de son cœur agité ! Non, l’homme n’a pas été fait pour la terre, et la terre n’a rien à lui donner qui puisse y arrêter sa pensée et y fixer son cœur ; on ne peut l’enchaîner dans ce cachot étroit et sombre ; on ne peut le distraire de la pensée de l’infini, et l’arracher aux rêves exaltés d’un bonheur inaltérable et sans fin : il s’élance par-delà le monde visible, et poursuit, dans la région des esprits, ce bien qu’il ne peut rencontrer ici-bas. Et voilà pourquoi l’homme, même le plus irréligieux et le plus dégradé, éprouve encore un irrésistible penchant pour le merveilleux ; il est naturellement porté vers les grandes choses :

L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux !

(Lamartine.)

Et voilà pourquoi aussi il a un indéfinissable attrait pour une vie exceptionnelle, une vie austère et en dehors de la société commune, une vie dégagée de la matière et presque angélique, une vie enfin qui le ramène à son état primitif d’innocence, en le rapprochant de Celui qui l’a créé à son image et à sa ressemblance.

Tout chrétien est appelé à une perfection divine ; tout chrétien est fait pour devenir un saint, c’est-à-dire un héros, un ange, presque un dieu, puisqu’il doit, en imitant Jésus-Christ, se rapprocher sans cesse de son Père céleste ; puisqu’il est obligé d’être parfait comme ce Père céleste est partait.

Il y a dans notre cœur, cet abîme de misère et de grandeur, ce mystère de bassesse et d’héroïsme, il y a un « je ne sais quoi » comme dit Bossuet, qui par moments se révèle avec un éclat soudain et foudroyant, et qui atteste notre origine et notre destination sublimes : malgré les efforts d’une philosophie matérialiste pour nous dégrader et nous assimiler à l’animal, nous retrouvons toujours au fond de notre être cet instinct céleste, cette loi divine de notre grandeur ; oui, en même temps que la nature corrompue nous porte vers ce qui flatte nos sens et nous matérialise, il y a en nous un instinct qui nous entraîne vers tout ce qui épure, spiritualise et exalte nos affections.

Tout ce qui est beau, dans l’ordre physique ou moral ; tout spectacle merveilleux, tel que les Chutes du Niagara ; tout récit d’un acte héroïque, tel que celui d’un ami qui meurt pour sauver son ami ; tout ce qui n’est pas commun et vulgaire, saisit notre cœur d’admiration, le ravit et exerce sur lui une sorte de fascination qui le domine, excite son enthousiasme, et le porte à vouloir s’approprier ou imiter ce qu’il a admiré : cette disposition de notre cœur est l’explication de la puissance des grands exemples, et de la conversion de tant de pécheurs, à la lecture des Vies des Saints.

Non, non, l’homme n’est pas fait