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Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/94

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lui de quitter le monde et d’entrer dans un cloître, pour faciliter son salut ; et même, s’il le faut, de fuir dans le désert et d’y vivre comme ont vécu les anciens Solitaires, que le même motif y avait conduits.

Écoutons sur cette importante question de vie ou de mort, de vie ou de mort éternelle, écoutons en tremblant l’illustre Archevêque de Cambrai : après nous avoir parlé des dangers du monde, de la difficulté d’y faire son salut, et de la nécessité de le fuir, lorsque le devoir ne nous y retient pas, il s’écrie avec un saint enthousiasme et une entraînante éloquence :

« De là vient qu’en ouvrant les livres des Saints-Pères, je ne trouve de tous côtés, même dans les sermons faits au peuple sans disctinction, que des exhortations pressantes pour conduire les chrétiens en foule dans la solitude. C’est ainsi que Saint-Basile fait un sermon exprès pour inviter tous le chrétiens à la vie solitaire. Saint-Grégoire de Nazianze, Saint-Chrysostôme, Saint-Jérôme, Saint-Ambroise, l’Orient, l’Occident, tout retentit des louanges du désert et de la fuite du siècle. J’aperçois même, dans la Règle de Saint-Benoît, qu’on ne craignait point de consacrer les enfants avant qu’ils eussent l’usage de la raison. Les parents, sans craindre de les tyranniser, croyaient pouvoir les vouer à Dieu dès le berceau. Vous vous en étonnez, vous qui mettez une si grande différence entre la vie du commun des chrétiens vivant au milieu du siècle, et celle des âmes religieuses consacrées dans la solitude ; mais apprenez que, parmi ces vrais chrétiens, qui ne re gardaient le siècle qu’avec horreur, il y avait peu de différence entre la vie pénitente et recueillie que l’on menait dans la famille, ou celle qu’on menait dans un désert. S’il y avait quelque différence, c’est qu’ils regardaient comme plus doux, plus facile et plus sûr de mépriser le monde de loin que de près. On ne croyait donc point gêner la liberté de ces enfants, puisqu’ils devaient, comme chrétiens, ne prendre aucune part aux pompes et aux joies du monde ; c’était leur épargner des tentations, et leur préparer une heureuse paix, que de les ensevelir tout vivants dans cette sainte société avec les anges de la terre. O aimable simplicité des enfants de Dieu, qui n’avaient plus rien à ménager ici-bas ! O pratique étonnante, mais qui n’est si disproportionnée à nos mœurs qu’à cause que les disciples de Jésus-Christ ne savent plus ce que c’est que de porter sa croix avec lui, et que dire avec lui : malheur, malheur au monde ! On n’a point de honte d’être chrétien, et de vouloir jouir de sa liberté pour goûter le fruit défendu, pour aimer le monde que Jésus-Christ déteste. Ô lâcheté honteuse, qui était réservée pour la consommation de l’iniquité dans les derniers siècles ! On a oublié qu’être chrétien, et n’être plus de ce monde, c’est essentiellement la même chose ! Hélas ! quand vous reverrons-nous, ô beaux jours, ô jours bienheureux, où toutes les familles chrétiennes, sans quitter leurs maisons et leurs travaux, vivaient comme nos communautés les plus régulières ? C’est sur ce modèle que ces communautés se sont formées. On se taisait, on priait, on travaillait sans cesse des mains, on se cachait ; en sorte que les chrétiens étaient appelés un genre d’hommes qui fuyaient la lumière. On obéissait au pasteur, au père de famille. Point d’autre joie que celle de notre bienheureuse espérance pour l’avènement du grand Dieu de gloire ; point d’autres assemblées que celles où l’on écoutait les paroles de la foi ; point d’autre festin que celui de l’agneau, suivi d’un repas de charité ; point d’autre pompe que celle des fêtes et des cérémonies ; point d’autre plaisir que celui de chanter des psaumes et les sacrés cantiques ; point d’autres veilles que celles où l’on ne cessait de prier. O beaux jours ! quand vous reverrons-nous ? Qui me donnera des yeux pour voir la gloire de Jérusalem renouvelée ? Heureuse la postérité sur laquelle reviendront ces anciens jours ! de tels chrétiens étaient solitaires, et changeaient les villes en déserts !

« Dès ces premiers temps, nous admirons, en Orient, des hommes et des femmes qu’on nommait Ascètes, c’est-à-dire Exercitans ; c’étaient des chrétiens dans le célibat, qui suivaient toute la perfection du conseil de l’apôtre. En Occident, quelle foule de vierges et de personnes de tout âge, de toute condition, qui, dans l’obscurité et dans le silence, ignoraient le monde, et étaient igno-