Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/96

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de vie proclamé excellent et embrassé par tout ce que l’Église a eu de plus grand et de plus saint, de plus pur et de plus élevé : — Papes, Patriarches, Cardinaux, Archevêques, Évêques, prêtres, fidèles sans nombre, depuis les rois et les princes jusqu’aux plus obscurs habitants des cabanes rustiques ; depuis les grandes dames patriciennes de Rome jusqu’aux reines et princesses du Moyen-Age et des temps modernes ? Qui donc oserait, parmi les catholiques instruits et de bonne foi, s’inscrire en faux contre l’enseignement de l’Église, qui a toujours regardé et chéri, comme la PORTION CHOISIE de son troupeau, les âmes solitaires et contemplatives ; l’Église qui a toujours couvert et protégé de son bouclier divin ces âmes de diamant, ces pierres mystiques, façonnées et polies dans le désert sur la meule sacrée des plus rudes austérités ? Oui, lorsque les Souverains Pontifes ont approuvé et encouragé les Religieux les plus solitaires qu’il y ait, les Chartreux, tous les termes éloquents de la langue latine, toutes les épithètes les plus sublimes, toutes les expressions les plus poétiques, — anges, aigles, colombes, — tout éloge leur a semblé au-dessous de l’excellence et du mérite de la vie austère de ces humbles contemplatifs ; et, admirant avec enthousiasme, louant avec magnificence, et enviant toujours, sous la tiare d’épines, le calme et la sécurité de leur solitude profonde, jamais, non, jamais, aucun d’eux n’a eu la pensée de les troubler dans leur séraphique inaction, dans leur utile et céleste repos de louanges et d’adoration perpétuelles : ils savaient que, comme Marie, ces héroïques solitaires avaient choisi la meilleure part, qui ne devait pas leur être ravie ; et, à l’exemple de Jésus-Christ, le Pontife des Pontifes, ils ont approuvé et loué en eux la sainte et féconde oisiveté de Marie contemplative, la douce et extatique quiétude de l’Épouse endormie dans la solitude.

Mais, malgré tous ces témoignages sacrés et ces exemples innombrables, la plainte de Marthe se fait entendre encore, et l’accusation du monde se renouvelle de jour en jour, avec la même ingratitude et la même injustice. Que devez-vous donc faire, vous qui ne voulez être ni occupés comme Marthe qui se plaint, ni ingrats et injustes comme le monde qui accuse ? Vous devez admirer avec reconnaissance, vous réjouir, et vous écrier, comme Saint-Bernard : Heureuse la maison où Marthe se plaint de Marie !

Qui ne se rappelle avec émotion ce que disait Saint-Pierre Célestin, rendu à sa chère cellule : « On admire que j’aie abdiqué la papauté ; et moi, j’admire ma simplicité de l’avoir acceptée ! » Hélas ! que de fois, pendant ces dernières et tristes années, Pie IX, aussi grand par son génie que par sa clémence et ses malheurs, digne en tout de ses plus illustres et plus saints prédécesseurs, que de fois ce grand Pape, accablé sous le poids d’un pouvoir et d’une responsabilité suprêmes, n’a-t-il pas regretté le sort paisible du jeune Mastaï-Ferreti errant dans les solitudes américaines, où rien ne lui présageait une si orageuse destinée ! Que de fois n’a-t-il pas gémi sous le fardeau, comme Saint-Grégoire-le-Grand, et médité peut-être d’abdiquer, comme Saint-Pierre Célestin ! — Ah ! lui, il comprendra notre amour pour la solitude, notre attrait pour le désert, notre enthousiasme pour les Solitaires et la vie érémitique ; il comprendra nos regrets, notre douleur et nos espérances !