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LE GRAND SILENCE BLANC

Croiriez-vous pas, Freddy, mon ami, qu’il y aurait long à écrire sur la psychologie de ces gens qui quittèrent tout pour courir leur chance aux dernières marches du monde !

De savants docteurs trouveraient là matière à disséquer l’âme de l’homme, mais — fort heureusement pour nous — les docteurs restent frileusement ficelés dans leur robe de chambre, quinteux, toussotant et grincheux, au fond de leur confortable studio.

Je ne sais rien de plus bavard qu’un homme solitaire. Gregory Land, qui passe des journées et des journées en tête-à-tête avec ses chiens, parle de tout et sur tout ; il saute d’une idée à une autre idée, comme un oiseau d’un perchoir à un autre perchoir.

Les mains croisées sur la poitrine, les jambes allongées sur le parquet, il parle plus pour lui que pour moi.

De temps en temps, il s’arrête, boit une gorgée d’alcool et repart, poursuivant tout haut son rêve.

Tout à coup, il se replie si brusquement qu’il a l’air d’une marionnette cassée.

Il se recueille un instant, mâchant sa chique avec béatitude. Je respecte son silence, mais il est de courte durée.

Il reprend bientôt sur le mode familier qui lui est cher :

— Bien sûr, j’en ai connu de drôles de types depuis quatorze ans que je roule, de Skagway à