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LE GRAND SILENCE BLANC

herbes échevelées méritant bien leur nom de « têtes de femmes », des racines enchevêtrées où les pattes des chiens se prenaient comme dans un piège, ce qui agaçait particulièrement les bêtes qui aboyaient avec fureur.

Parfois un bouquet d’arbustes, grêles ou rabougris, des saules et des aunes, des arbres pitoyables, pauvres choses souffreteuses, pareils à des rejetons issus de septuagénaires, dont la sève est épuisée, et qui portent, malgré leur jeunesse, tous les stigmates d’une précoce flétrissure.

J’essaye de me rappeler le printemps dernier, alors que sur la côte nord-ouest abritée des tempêtes, je voyais se dérouler, devant mes yeux, à perte de vue, des fleurs aux couleurs merveilleuses ; les hauts sapins immuablement verts, gardiens silencieux des monts impassibles, veillaient comme des personnages de légendes sur cette floraison de rêve…

Mais le printemps est mort. Y a-t-il eu seulement un printemps ? J’en doute, le ciel est bas, d’un gris argenté, on dirait une chape de plomb qui va couvrir la plaine.

Les sacs de dépêches et l’angle du traîneau s’enfoncent dans mes côtes, à chaque virage je retiens un cri et Gregory hurle un juron.