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LE GRAND SILENCE BLANC

tais mes soirées de solitude, et mes soirées de ripailles en compagnie de joyeux garçons…

J’aimais ma terre qui paye pour son printemps alors que les lichens verts, jaunes, rouges, mettent des taches vives dans le paysage ; et les saxifrages, rouges aussi, mêlés aux touffes de fleurs blanches des dryas, qui, hélas ! ne vivent que quelques journées.

Je l’aimais aussi pour son rude hiver… les froids noirs où le mercure gèle dans le thermomètre, où le lit des fleuves est une piste dure ; où les loups rôdent inquiets, où le grand ours affamé descend du cercle polaire. Mes courses du nord au sud, de l’est à l’ouest, de Chilkoot à Kinging, de la Mackenzie aux bouches du Yukon, mes longues randonnées avec mon team de labradors et de huskies.

J’avais la hantise du trail, du trail qui se déroule à l’infini offrant au regard les plus affolants mirages.

Je n’ai pas pu partir, je suis resté.

Quand on a subi une fois l’attirance du Grand Nord, c’est fini. La terre vous prend, elle vous a, elle vous garde…

Et Gregory Land s’abîme dans une lointaine songerie.

Je respecte son silence, mais bientôt le postier reprend :

— Je vous ai parlé de Rupert-City, tout à l’heure. Vous connaissez, n’est-ce pas ?