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LE GRAND SILENCE BLANC

trouvé, au petit jour, avec un couteau proprement planté entre les deux épaules.

Ceci est encore une affaire dont probablement Ned rendra compte lorsque les temps seront révolus.

La succession du malheureux ne tenta personne et Douglas hérita du fonds, des girls et du piano.

Dès lors, ce furent des séances épiques. La fièvre de l’or et de l’alcool montait dans le plus effroyable charivari qui se puisse concevoir.

Cette brute épaisse de Ned avait peut-être l’âme poétique. Il installa, un beau soir, un pianiste devant le piano, fait mémorable, car jusqu’alors n’importe qui tapait n’importe quoi sur la boutique, pourvu que cela fit du bruit le reste importait peu.

Le pianiste vint. C’était un pauvre individu, un gringalet, pâle, mince, frileux et souffreteux, avec un air de fille. Je vois toujours sa face blanche où vivaient deux grands yeux profonds, brillant comme des lampes.

On l’accueillit avec des rires. Ned, en patron pratique, eut peur qu’on lui abîmât son joujou. Comme il connaissait ses clients et savait qu’au fond, c’étaient des cœurs généreux, il fit placer bien en vue, sur le piano, une large pancarte qui portait cet avis :

Vous êtes priés de ne pas tirer sur le pianiste, il fait ce qu’il peut.