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LE GRAND SILENCE BLANC

hommage de la créature au créateur, avec un élan spontané, une richesse de timbres admirable, unique.

Ce fut, après l’ouragan déchaîné, la course à l’abîme, de la joie et de douleur ; dans sa riche splendeur, le paysage symphonique se déroulait montrant toutes les promiscuités, toutes les hypocrisies de l’âme humaine, les colères et les désespoirs, la pitié, la souffrance, les espoirs méconnus, tout passait, dans une rafale, avec le galop du coursier farouche qui emportait l’homme, cet éternel damné.

Le rire de Satan couvrait les appels et les cris, et la course passait fantastique.

Sortis de leur ivresse puante, les joueurs et les filles s’étaient dressés comme dans un sommeil hypnotique et tous, nous étions là, debout, en demi-cercle, écoutant, écoutant, écoutant. Les figures les plus basses, les physionomies les plus crapuleuses auxquelles la vie avait donné les masques les plus durs, se détendaient ; la joie intérieure, que tout être porte, sans le savoir, dans le fond de son âme, montait comme pour une transfiguration, éclairant d’un rayon plus qu’humain la face des hommes.

Oui, les visages les plus flétris où le vice avait mis sa griffe et son stigmate, je vous le jure, ces visages étaient beaux, pareils à ceux des prédestinés, qui, aux premiers siècles de croyance, dans leur extase, croyaient voir Dieu.