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LE GRAND SILENCE BLANC

atrocement, un soutier. La vision est infernale. Les yeux vidés laissent voir deux trous sanglants. La bouche se tord, noire et rouge. Le corps entier n’est qu’une plaie à laquelle des lambeaux de vêtements adhèrent encore.

Les passagers s’empressent, inutiles. Le capitaine interroge :

— Y a-t-il un médecin parmi vous ?

Les émigrants se regardent l’un l’autre, personne ne répond.

Le capitaine insiste :

— Vous n’allez pas le laisser mourir comme ça…

Alors je songe que j’ai, il y a bien des années déjà, préparé l’examen de l’École de médecine navale de Bordeaux.

Le cercle s’est ouvert devant moi. Je me penche sur le blessé. Il ne faut pas être grand clerc pour se rendre compte que l’homme est perdu. Il faut abréger cependant ses souffrances.

Le plus urgent est de débarrasser les plaies du linge qui plaque.

Je demande :

— Des ciseaux, un couteau…

Un geste brusque, une voix qui répond :

— Voilà.

C’est Jessie Marlowe qui, d’une gaine de cuir qu’elle porte sous son chandail, me tend un minuscule poignard, fait d’une seule pièce d’acier.

Elle m’offre, en même temps, son aide et avant