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LE GRAND SILENCE BLANC

gênent. D’ailleurs, l’aspect de Jessie n’a rien d’engageant. Dans son coin, elle est tapie comme une bête sauvage, insensible à tout ce qui n’est pas sa douleur.

À quoi songe-t-elle ? Quel paysage évoque-t-elle ? Quel souvenir ? Le bonheur perdu ? Le foyer détruit ? Autrefois ou demain ?

Autrefois ? Les randonnées à cheval avec l’espace pour horizon, la solitude, la tendre solitude à deux pendant les longues nuits polaires ? Les dangers évités ensemble ? La première étreinte des mains ?

Demain ? L’insécurité, le problème de la vie quotidienne, le retour à la maison où tout vous dit l’absence de l’être aimé, sa place, son verre, son couteau, sa carabine pendue au mur, désormais inutile ?

Que voit-elle dans son rêve intérieur ? Ses yeux regardent-ils sans voir ou fixent-ils un point lointain dans son rêve éperdu ?

Pourquoi l’idée absurde me vient-elle que ses prunelles agrandies, d’une fixité hypnotique, voient uniquement dans la chambre la petite blessure triangulaire qui est au cou de celui qui fut son mari ?