Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/102

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précaution de ne rendre aucune des grandes charges de l’État héréditaires, ni même à vie, il est à présumer que les hommes publics, n’y formant que des habitants passagers, ne lui donneront de longtemps cette splendeur funeste qui fait le lustre et la perte des États.

Voici la première réflexion que me suggère l’examen rapide du local de l’île ; quant à parler maintenant plus en détail du gouvernement, il faut commencer par voir ce qu’il doit faire et sur quelles maximes il doit se conduire. C’est là ce qui doit achever de décider de sa forme, car chaque forme de gouvernement a son esprit qui lui est naturel et propre, et duquel elle ne s’écarte jamais.

Nous avons égalisé jusqu’au sol national autant qu’il nous a été possible ; tâchons maintenant d’y tracer le plan de l’édifice qu’il faut élever. La première règle que nous avons à suivre, c’est le caractère national : tout peuple a ou doit avoir un caractère national ; s’il en manquait, il faudrait commencer par le lui donner, les insulaires surtout, moins souples, moins confondus avec les autres peuples, en ont d’ordinaire un plus marqué ; les Corses, en particulier, en ont un naturellement très-sensible, mais si défiguré par l’esclavage et la tyrannie, qu’il est devenu difficile à connaître. En revanche il est, par leur position isolée, facile à rétablir et conserver.

L’île de Corse, dit Diodore, est montagneuse, pleine de bois et arrosée par de grands fleuves. Ses habitants se nourrissent de lait, de miel et de viande, que le pays leur fournit largement ; ils observent entre eux les règles de la justice et de l’humanité avec plus d’exactitude que les autres barbares ; celui qui le premier trouve du miel dans les montagnes et dans les creux des arbres, est assuré que