Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/137

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pandre dans tout l’État, l’activité, la vie, pour rendre le peuple actif et laborieux. La puissance civile s’exerce de deux manières, l’une légitime par l’autorité, l’autre abusive par les richesses. Partout où les richesses dominent, la puissance et l’autorité sont ordinairement séparées, parce que les moyens d’acquérir la richesse et les moyens de parvenir à l’autorité n’étant pas les mêmes, sont rarement employés par les mêmes gens. Alors la puissance apparente est dans les mains des magistrats et la puissance réelle dans celle des riches. Dans un tel gouvernement tout marche au gré des passions des hommes, rien ne tend au but de l’institution. Il arrive alors que l’objet de la convoitise se partage : les uns aspirent à l’autorité pour en vendre l’usage aux riches et s’enrichissent eux-mêmes par ce moyen ; les autres et le plus grand nombre vont directement aux richesses, avec lesquelles ils sont sûrs d’avoir un jour la puissance en achetant, soit l’autorité, soit ceux qui en sont les dépositaires.

Supposez que, dans un État ainsi constitué, les honneurs et l’autorité, d’un côté, soient héréditaires, et que, de l’autre, les moyens d’acquérir les richesses, hors de la portée du plus petit nombre, dépendent du crédit et de la faveur, des amis : il est impossible alors que, tandis que quelques aventuriers iront à la fortune et de là, par degrés, aux emplois, le découragement universel ne gagne pas le gros de la nation et ne la jette pas dans la langueur.

Ainsi généralement, chez toute nation riche, le gouvernement est faible, et j’appelle également de ce nom celui qui n’agit qu’avec faiblesse, et ce qui revient au même, celui qui a besoin de moyens violents pour se maintenir.