Aller au contenu

Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je ne puis mieux éclaircir ma pensée que par l’exemple de Carthage et de Rome. La première massacrait, mettait en croix ses généraux, ses magistrats, ses membres, et n’était qu’un gouvernement faible que tout effrayait et ébranlait sans cesse. La seconde n’ôtait la vie à personne, ne confisquait pas même les biens ; le criminel accusé pouvait s’en aller paisiblement, et le procès finissait là. La vigueur de cet admirable gouvernement n’avait pas besoin de cruauté, le plus grand des malheurs était de cesser d’être un de ses membres.

Les peuples seront laborieux quand le travail sera en honneur, et il dépend toujours du gouvernement de l’y mettre. Que la considération et l’autorité soient à la portée des citoyens, ils s’efforceront d’y atteindre ; mais s’ils les voient trop loin d’eux, ils ne feront pas un pas. Ce qui les jette dans le découragement, n’est pas la grandeur du travail, c’est son inutilité.

On me demandera si c’est en labourant son champ qu’on acquiert les talents nécessaires pour gouverner. Je répondrai que oui dans un gouvernement simple et droit, tel que le nôtre ; des grands talents sont le supplément du zèle patriotique ; ils sont nécessaires pour mener un peuple qui n’aime point son pays et n’honore point ses chefs ; mais faites que le peuple s’affectionne à la chose publique, cherche des vertus, et laissez là vos grands talents, ils feraient plus de mal que de bien : le meilleur mobile d’un gouvernement est l’amour de la patrie, et cet amour se cultive avec les champs. Le bon sens suffit pour mener un État bien constitué, et le bon sens se trouve autant dans le