Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/163

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ET LE BONHEUR. 137

par mon assistance ; en attendant que vous ne soyez plus ’ vous me devez ce que vous avez été.

Ne nous regardons point comme ces hommes primitifs et imaginaires qui n’avaient besoin de personne parce que la nature seijle pourvoyait à tout. La nature a, pour ainsi dire, abandonné ses fonctions sitôt que nous les avons usurpées. L’homme social est trop faible pour pouvoir se passer des autres, il a besoin de tout dès l’instant de sa naissance jusqu’à celui de sa mort, et riche ou pauvre il ne pourrait subsister s’il ne recevait rien d’autrui.

Je ne dois point non plus me croire quitte avec tout le monde sous prétexte que ceux qui m’ont servi n’ont re- gardé qu’à leur plaisir ou qu’à leur intérêt : cela peut être vrai pour les particuliers, non pour le corps de la société qui regarde à tous ses membres, et par conséquent à moi comme à vous dans tout ce qu’elle fait pour elle-même.

Or ce n’est pas comme particuliers que nous sommes tous débiteurs les uns des autres, mais comme membres de la société à laquelle chacun doit tout. D’ailleurs le prix dont on paye tous les secours qu’on reçoit est lui-même un don de la ^société. Un homme peut-il rien posséder sans le concours et le consentement des autres ? Sans ce con- trat tacite qu’ils ont passé, il n’y aurait ni gain ni pro- priété, ni véritable industrie. Dans l’état de nature rien n’existe que le nécessaire, et tout le superflu qu’on voit parmi nous n’est point la somme des travaux des particu- liers, mais le produit de l’industrie générale, qui fait avec cent bras agissant de concert, plus que cent hommes ne pourraient faire séparément.

Vous me parlerez, je le prévois, des désordres de l’état social où le bien public sert de prétexte à tant de maux ;