Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/164

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158 LETTRES SUR LA VERTU

mais il faut distinguer Tordre civil de ses abus ; et de ce que tous ne rendent pas à la société ce qu^ils lui doivent, on ne peut pas conclure que nous ne lui devons rien ; et ce n’est pas à elle qu’il faut nous en prendre si, ne faisant rien de ce qu’elle ordonne, nous nous rendons malheu- reux en l’offensant. D’ailleurs, sous l’empire de l’opinion, quelles précautions ne faut-il pas prendre pour distinguer dans l’estimation des choses l’apparence de la réalité! Combien de maux nous paraissent affreux qui ne son! rien par eux-mêmes ; combien d’hommes gémissent de leur sort, qui pourraient être heureux sans changer d’état, et ont à se plaindre de la raison bien plus que de la fortune I Tel riche pense être ruiné quand il ne lui reste que le bien dont il a besoin, et a*oit mourir de faim s’il faut chasser un parasite. Une preuve que tant de malheurs sont la plu- part imaginaires, c’est que la même condition qui fait le désespoir de celui qui s’y trouve ferait, telle qu’elle est, le bonheur de cent autres. On ne compare point ce qu’on est, ni à ses besoins, ni à l’état d’autrui, mais à ce qu’on était, ou à ce qu’on voulait être ; l’ambition compte tou- jours pour Tmi ce qu’elle acquiert et pour tout ce qui lui échappe.

Mais un avantage infiniment supérieur à tous les biens {^ysiques et quenous tenons incontestablement de Thar- monie du genre humain, est celui de parvenir par la communication des idées et le progrès de la raison jus- qu’aux régions intellectuelles, d’acquérir les notions su- blimes de ’l’ordre, de la sagesse et de la bonté morale ; de nourrir nos sentiments du fruit de nos connaissances, de nous élever par la gi*andeur de l’âme au-dessus des fai- blesses de la nature, et d’égaler à certains égards, par î’^rt