Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/173

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ET LE BONHEUR. 147

C’est ainsi que les systèmes s’établissent et se détruisent, sans rebuter de nouveaux raisonneurs d’en élever sur leurs ruines d’autres qui ne dureront pas plus longtemps. Tous s’égarent ainsi par diverses routes, chacun croit ar- river au vrai but parce que nul n’aperçoit la trace de tous les détours qu’il a faits. Que fera donc celui qui cherche sincèrement la vérité, parmi ces foules de savants qui tous prétendent l’avoir trouvée, et se démentent mutuel- lement ?

Pèsera-t-il tous les svstèmes, feuillettera-t-il tous les livres, écoutera-t-il tous les -philosophes, comparera-t-il toutes les sectes ; osera-t-il prononcer entre Épicure et Zenon, entre Aristippe et Diogène, entre tocke et Schafst- bury ; osera-t-il préférer ses lumières à celles de Pascal, et’sa raison à celle de Descartes ?

Entendez discourir en Perse un mollah, à la Chine un bonze, en Tartarie un lama, un brahme aux Indes, en Angleterre un quaker, en Hollande un rabbin ; vous serez étonnés de la force de persuasion que chacun d’eux sait donner à son absurde doctrine. Combien de gens aussi sensés que vous chacun d’eux n’a-t-il pas convaincus ? Si vous daignez à peine les écouter, si vous riez de leurs vains arguments, si vous refusez de les croire, ce n’est pas la raison qui résiste en vous à leurs préjugés, c’est le vôtre. La vie serait dix fois écoulée avant qu’on eût discuté à fond une seule de ces opinions. Un bourgeois de Paris se moque des objections de Calvin qui effrayent un docteur de Sorbonne. Plus on approfondit, plus on trouve de sujets de doute, et soit qu’on oppose raisons à raisons, autorités à autorités, suffrages à suffi’ages, plus on avance, plus on trouve de sujets de douter ; plus on s’instniit,- moiifô on