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Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/174

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14S LETTRES SUR LA VERTU

sait, et Ton est tout étonné qu’au lieu d’apprendre ce qu’on ignorait, on perd même la science^ qu’on croyait avoir.

LETTRE ITI

Nous ne savons rien, ma chère Sophie, nous ne voyons rien ; nous sommes une troupe d’aveugles jetés à l’aven- ture dans ce vaste univers. Chacun de nous, n’apercevant aucun objet, se fait de tous une image fantastique qu’il prend ensuite pour la règle du vrai, et cette idée ne res- semblant à celle d’aucun autre de cette épouvantable mul- titude de philosophes dont le babil nous confond, il lie s’en trouve pas deux seuls qui s’accordent sur le système de cet univers que tous prétendent connaître, ni sur la nature des choses que tous ont soin d’expliquer.

Malheureusement, ce qui nous est précisément le moins connu est ce qu’il nous importe le plus de connaître : sa- voir l’homme. Nous ne voyons ni l’âme d’autrui, parce qu’elle se cache, ni la nôtre, parce que nous n’avons point de miroir intellectuel. Nous sommes de tout point aveu- gles-nés qui n’imaginons pas ce que c’est que la vue, et ne croyant manquer d’aucune faculté, nous voulons mesu- rer les extrémités du monde, tandis que nos courtes lu- mières n’atteignent, comme nos mains, qu’à deux pieds de nous.

En approfondissant cette idée, peut-être ne la trouverait- on pas moins juste au propre qu’au figuré. Nos sens sont les intruments de toutes nos connaissances ; c’est d’eux