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194 TRAITÉ ÉLÉMENTAIRE

des reptiles arrogants et vains dont j’écraserais l’engeance avec grand plaisir sous mon ongle. — Doucement, reprend le philosophe saturnien, n’écrasons personne de peur d’être écrasés nous-mêmes sous les ongles des habitants de ces autres astres plus grands que le nôtre sans comparaison. Ces pauvres petits animaux, avec leurs cinq pieds de haut, sont aussi fondés à se trouver grands que nous, avec nos vingt-cinq ou trente pieds, de ces autres êtres, qui peut-être en ont sept ou huit cents, qui ne voient peut-être aucune différence dans la petitesse des uns et des autres, et qui, peut-être encore, sont aussi petits eux-mêmes aux yeux des habitants de Bootès et de Sirius. Nous sommes, continue mon philosophe, et les habitants de la Terre sont ainsi que nous très-grands à de certains égards ; très-petits à d’autres. Il n’y a point, par conséquent, de grandeur absolue : ne nous enorgueillissons pas ni ne nous humilions de ce qui n’est pas. Pour tout être fini, rien n’est grand ni petit que par comparaison. — Ce monde est donc grand, non pas en lui-même, mais pour nous qui sommes petits ; il est très-grand pour nos statures, pour nos enjambées, pour la mesure de nos yeux. Il ne serait pas grand pour les ogres qui ont des bottes de sept lieues, avec lesquelles ils en feraient le tour en un jour, et il serait petit pour les dieux d’Homère, qui franchissent l’espace des cieux en trois pas, et arrivent au quatrième.

CHAPITRE III

Il y a peu de siècles que l’on connaît exactement la me- sure de la terre et sa figure. Jusqu’à Christophe Colomb