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DE CLAIRE ET DE MARCELLIN. 2G0

pourtant ; il en fut ému jusqu’au fond du cœur, et deux gouttes d’eau presque imperceptibles furent la source de bien des orages.

Marcellin, au désespoir et plus amoureux cent fois qu’il ne croyait l’être, résolut de rompre ou de différer au moins son mariage ; il fut, à diverses reprises, sur le point d’en parler à son père ; mais ce rude et grossier paysan, qui poussait jusqu’à la brutalité la sévérité paternelle, était d’un entêtement que rien ne ramenait. Le fils, qui en craignait l’abord et qui croyait prévoir l’inutilité de ses représentations, y renonça moins par raison que par ti- midité. Il aurait parlé volontiers à sa mère, mais elle avait plus de complaisance pour lui que de crédit sur l’esprit de Germon. D’ailleurs elle était malade depuis longtemps ; il craignait de l’affliger et de nuire à sa guérison ; enfin, malgré cette maladie qui traînait en longueur et sur la- quelle Marcellin avait fondé l’espoir d’un délai, le jour de la noce ayant été fixé par les parents qui s’ennuyaient d’attendre, Marcellin s’avisa d’un expédient pour différer le moment de son malheur, et cet expédient fut de se pro- curer une maladie passagère propre à donner un peu d’a- larmes sur son compte et à faire suspendre le mariage. — Il avait trouvé un paquet d’émétiquequi contenait plusieurs doses et qui avait été préparé pour sa mère ; il avala le tout sans marchander. Je ne sais si son amour avait prévu la grandeur du péril où il s’allait précipiter, mais la trop grande dose, jointe au défaut de précautions nécessaires pour adoucir et faciliter l’effet de cette dangereuse drogue, le mit dans un état à faire craindre pour sa vie, et voilà ce qui avait produit, de la part du chirurgien, tant de sa- vantes dissertations.