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yeux ; mais je pense que celte mutilation doit être bien choquante à la lecture et produire bien des disparates.
Quelques-uns de ces retranchements me paraîtraient assez à propos et convenables, même dans ma façon de penser ; mais le plus grand nombre et les plus importants sont ceux auxquels je ne puis acquiescer, parce qu’ils vont directe- ment contre Tobjet du livre, et que les images trop libres» mais nécessaires à Teffet, n’étant plus rachetées par rien d’utile, un bon livre que j’ai cru donner ne devient plus qu\in roman scandaleux et à pure perte, que je suppri- merais si j’en avais le pouvoir.
Une dévote vulgaire, humblement soumise à son direc- teur ; une femme qui commence par le libertinage et finit par la dévotion, n’est pas un objet assez rare ni assez in- structif pour remplir un gros livre ; mais une femme à la fois aimable, dévote, éclairée et raisonnable, est un objet plus nouveau, et, selon moi, plus utile. C’est pourtant cette nouveauté et cette utilité que les retranchements exigés font disparaître : si Julie n’a point les subliipes vertus de Clarisse, elle a une vertu plus sage et plus judicieuse, qui n’est pas soumise à l’opinion ; si on lui ôte cet équivalent, il ne lui reste qu’à se cacher devant Tautre ; quel droit a-t-elle de se montrer ?
M. de Malesherbes pense que la doctrine mise dans la bouche de Julie mourante est celle dp l’auteur ou de l’éditeur du livre. Cependant il veut qu’on tronque cette profession de foi. Or il est clair que, dans une édition faite sous mes yeux, les suppressions seront de ma part un désa- veu tacite. Quoi ! M. de Malesherbes veut-il donc que je renie ma foi ? Ou le courage que je crois sentir au fond de mon cœur me trompe, ou, quand je verrais devant moi