Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/168

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militaire, de si beaux codes, & de si sages loix ? Enfin pourquoi, depuis que la société s’est perfectionnée danses pays du nord, & qu’on y a tant pris de peine pour apprendre aux hommes leurs devoirs mutuels & l’art de vivre agréablement & paisiblement ensemble, on n’en voit plus rien sortir de semblable à ces multitudes d’hommes qu’il produisoit autrefois ? J’ai bien peur que quelqu’un ne s’avise à la fin de me répondre que toutes ces grandes choses, savoir, les arts, les sciences & les loix, ont été très-sagement inventées par les hommes, comme une peste salutaire pour prévenir l’excessive multiplication de l’espece, de peur que ce monde, qui nous est destiné, ne devint à la fin trop petit pour ses habitans.

Quoi donc ! faut-il détruire les sociétés, anéantir le tien & le mien, & retourner vivre dans les forêts avec les ours ? Conséquence à la maniere de mes adversaires, que j’aime autant prévenir que de leur laisser la honte de la tirer. O vous, à qui la voix céleste ne s’est point fait entendre, & qui ne reconnoissez pour votre espece d’autre destination que d’achever en paix cette courte vie ; vous qui pouvez laisser au milieu des villes vos funestes acquisitions, vos esprits inquiets, vos cœurs corrompus & vos désirs effrénés, reprenez, puisqu’il dépend de vous, votre antique & premiere innocence ; allez dans les bois perdre la vue & la mémoire des crimes de vos contemporains, & ne craignez point d’avilir votre espece en renonçant à ses lumieres pour renoncer à ses vices. Quant aux hommes semblables à moi, dont les passions ont détruit pour toujours l’originelle simplicité, qui ne peuvent plus se nourrir d’herbe & de glands, ni se passer de loix & de chefs ; ceux qui furent honorés dans leur premier pere de leçons surnaturelles ; ceux qui verront dans l’intention de donner