Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/199

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qu’un systême de Philosophie, quel qu’il soit, puisse être plus irrépréhensible que l’ûnivers, & que pour disculper la providence, les argumens d’un Philosophe soient plus convaincans que les ouvrages de Dieu ? Au reste, nier que le mal existe , est un moyen fort commode d’excuser l’auteur & mal. Les StoÏciens se sont autrefois rendus ridicules à meilleur marché.

Selon Leibnitz & Pope, tout ce qui est, est bien. S’il y a des sociétés, c’est que le bien général veut qu’il y en ait ; s’il n’y en a point, le bien général veut qu’il n’y en ait pas ; si quelqu’un persuadoit aux hommes de retourner vivre dans les forêts, il seroit bon qu’ils y retournassent vivre. On ne doit pas appliquer à la nature des choses une idée de bien ou de mal qu’on ne tire que de leurs rapports, car elles peuvent être bonnes relativement au tout, quoique mauvaises en elles-mêmes. Ce qui concourt au bien général peut être un mal particulier, dont il est permis de se délivrer quand il est possible. Car si ce mal, tandis qu’on le supporte, est utile au tout, le bien contraire qu’on s’efforce de lui substituer ne lui sera pas moins utile si-tôt qu’il aura lieu. Par la même raison que tout est bien comme il est, si quelqu’un s’efforce de changer l’état des choses, il est bon qu’il s’efforce de les changer ; & s’il est bien ou mal qu’il réussisse, c’est ce qu’on peut apprendre de l’événement seul & non de la raison. Rien l’empêche en cela que le mal particulier ne soit un mal réel pour celui qui le souffre. Il étoit bon pour le tout que nous fussions civilisés puisque nous le sommes, mais i1 eût certainement été mieux pour nous de ne pas l’être. Leibnitz