Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/391

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même le peuple voudroit bien souffrir qu’il s’affranchît du joug de la loi, il devroit se garder de profiter d’une si dangereuse prérogative, que d’autres s’efforceroient bientôt d’usurper à leur tour, & souvent à son préjudice. Au fond, comme tous les engagemens de la société sont réciproques par leur nature, il n’est pas possible de se mettre au-dessus de la loi sans renoncer à ses avantages, & personne ne doit rien à quiconque prétend ne rien devoir à personne. Par la même raison nulle exemption de la loi ne sera jamais accordée à quelque titre que ce puisse être, dans un Gouvernement bien policé. Les citoyens mêmes qui ont bien mérité de la patrie doivent être récompensés par des honneurs & jamais par des privileges : car la République est à la veille de sa ruine, si-tôt que quelqu’un peut penser qu’il est beau de ne pas obéir aux loix. Mais si jamais la noblesse ou le militaire, ou quelque autre ordre de l’Etat, adoptoit une pareille maxime, tout seroit perdu sans ressource.

La puissance des loix dépend encore plus de leur propre sagesse que de la sévérité de leurs ministres, & la volonté publique tire son plus grand poids de la raison qui l’a dictée : c’est pour cela que Platon regarde comme une précaution très-importante de mettre toujours à la tête des édits un préambule raisonné qui en montre la justice & l’utilité. En effet, la première des loix est de respecter les loix : la rigueur des châtimens n’est qu’une vaine ressource imaginée par de petits esprits pour substituer la terreur à ce respect qu’ils ne peuvent obtenir. On a toujours remarqué que les pays où les supplices sont le plus terribles, sont aussi ceux