Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/392

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ou ils sont le plus fréquens ; de sorte que la cruauté des peines ne marque guère que la multitude des infracteurs, & qu’en punissant tout avec la même sévérité, l’on force les coupables de commettre des crimes pour échapper à la punition de leurs fautes.

Mais quoique le Gouvernement ne soit pas le maître de la loi, c’est beaucoup d’en être le garant d’avoir mille moyens de la faire aimer. Ce n’est qu’en cela que consiste le talent de régner. Quand on a la force en main, il n’y a point d’art à faire trembler tout le monde, & il n’y en a pas même beaucoup à gagner les cœurs ; car l’expérience a depuis long-tems appris au peuple à tenir grand compte à ses chefs de tout le mal qu’ils ne lui font pas, & à les adorer quand il n’en est pas hai. Un imbécile obéi peut comme un autre punir les forfaits : le véritable homme d’Etat sait les prévenir ; c’est sur les volontés encore plus que sur les actions qu’il étend son respectable empire. S’il pouvoit obtenir que tout le monde fit bien, il n’auroit lui-même plus rien à faire, & le chef-d’œuvre de ses travaux seroit de pouvoir rester oisif. Il est certain, du moins, que le plus grand talent des chefs est de déguiser leur pouvoir pour le rendre moins odieux, & de conduire l’Etat si paisiblement qu’il semble n’avoir pas besoin de conducteurs.

Je conclus donc que comme le premier devoir du législateur est de conformer les loix à la volonté générale, la première regle de l’économie publique est que l’administration soit conforme aux loix. C’en sera même assez pour que l’Etat ne soit pas mal gouverné, si le législateur a pourvu comme