Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/153

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que je faisois avec tous nos Genevois par ces deux vers de la Henriade.

Soit qu’un ancien respect pour le sang de leurs maîtres,

Parlât encore pour lui dans le cœur de ces traîttres.

Ce mot parlât qui me frappa, m’apprit qu’il falloit un t à la troisieme personne du subjonctif ; au lieu qu’auparavant je l’écrivois & prononçois parla comme le présent de l’indicatif.

Quelquefois je causois avec Maman de mes lectures ; quelquefois je lisois auprès d’elle ; j’y prenois grand plaisir ; je m’exerçois à bien lire & cela me fut utile aussi. J’ai dit qu’elle avoit l’esprit orné. Il étoit alors dans toute sa fleur. Plusieurs gens de lettres s’étoient empressés à lui plaire & lui avoient appris à juger des ouvrages d’esprit. Elle avoit, si je puis parler ainsi, le goût un peu protestant ; elle ne parloit que de Bayle & faisoit grand cas de St. Evremond, qui depuis long-tems étoit mort en France. Mais cela n’empêchoit pas qu’elle connût la bonne littérature & qu’elle n’en parlât fort bien. Elle avoit été élevée dans des sociétés choisies, & venue en Savoye encore jeune, elle avoit perdu dans le commerce charmant de la noblesse du pays, ce ton maniéré du pays de Vaud où les femmes prennent le bel esprit pour l’esprit du monde & ne savent parler que par épigrammes.

Quoiqu’elle n’eût vu la Cour qu’en passant, elle y avoit jetté un coup-d’œil rapide qui lui avoit suffi pour la connoître. Elle s’y conserva toujours des amis & malgré de secretes jalousies, malgré les murmures qu’excitoient sa conduite & ses dettes, elle n’a jamais perdu sa pension. Elle avoit l’expérience