Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/182

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peu de prise & je me forgeai bientôt des consolations. Je comptois avoir dans peu des nouvelles de Madame de Warens, quoique je ne susse pas son adresse & qu’elle ignorât que j’étois de retour ; & quant à ma désertion, tout bien compté, je ne la trouvois pas si coupable. J’avois été utile à M. le Maître dans sa retraite ; c’étoit le seul service qui dépendît de moi. Si j’avois resté avec lui en France je ne l’aurois pas guéri de son mal, je n’aurois pas sauvé sa caisse, je n’aurois fait que doubler sa dépense sans lui pouvoir être bon à rien. Voilà comment alors je voyois la chose ; je la vois autrement aujourd’hui. Ce n’est pas quand une vilaine action vient d’être faite qu’elle nous tourmente ; c’est quand long-tems après on se la rappelle ; car le souvenir ne s’en éteint point.

Le seul parti que j’avois à prendre pour avoir des nouvelles de Maman, étoit d’en attendre : car où l’aller chercher à Paris & avec quoi faire le voyage ? Il n’y avoit point de lieu plus sûr qu’Annecy pour savoir tôt ou tard où elle étoit. J’y restai donc. Mais je me conduisis assez mal. Je n’allai point voir l’Evêque qui m’avoit protégé & qui me pouvoit protéger encore. Je n’avois plus ma patronne auprès de lui & je craignois les réprimandes sur notre évasion. J’allai moins encore au séminaire. M. Gros n’y étoit plus. Je ne vis personne de ma connoissance : j’aurois pourtant bien voulu aller voir Madame l’Intendante, mais je n’osai jamais. Je fis plus mal que tout cela. Je retrouvai M. Venture, auquel malgré mon enthousiasme je n’avois pas même pensé depuis mon départ. Je le trouvai brillant & fêté dans tout Annecy ; les Dames se l’arrachoient. Ce succès acheva de me tourner la tête. Je ne vis plus