Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/187

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mine effarée, prisonnier de guerre ; montez en croupe derriere elle, nous voulons rendre compte de vous. Mais, Mademoiselle, je n’ai point l’honneur d’être connu de Madame votre mere ; que dira-t-elle en me voyant arriver ? Sa mere, reprit Mademoiselle de G***

[Graffenried] , n’est pas à Toune, nous sommes seules : nous revenons ce soir & vous reviendrez avec nous.

L’effet de l’électricité n’est pas plus prompt que celui que ces mots firent sur moi. En m’élançant sur le cheval de Mademoiselle de G***

[Graffenried] , je tremblois de joie, & quand il fallut l’embrasser pour me tenir, le cœur me battoit si fort qu’elle s’en apperçut ; elle me dit que le sien lui battoit aussi par la frayeur de tomber ; c’étoit presque dans ma posture, une invitation de vérifier la chose ; je n’osai jamais, & durant tout le trajet, mes deux bras lui servirent de ceinture, très-serrée à la vérité ; mais sans se déplacer un moment. Telle femme qui lira ceci me souffletteroit volontiers & n’auroit pas tort.

La gaieté du voyage & le babil de ces filles, aiguiserent tellement le mien, que jusqu’au soir & tant que nous fûmes ensemble, nous ne déparlâmes pas un moment. Elles m’avoient mis si bien à mon aise, que ma langue parloit autant que mes yeux, quoiqu’elle ne dit pas les mêmes choses. Quelques instans seulement quand je me trouvois tête-à-tête avec l’une ou l’autre l’entretien s’embarrassoit un peu ; mais l’absente revenoit bien vite & ne nous laissoit pas le tems d’éclaircir cet embarras.

Arrivés à Toune & moi bien séché, nous déjeunâmes. Ensuite il fallut procéder à l’importante affaire de préparer le dîné. Les deux Demoiselles tout en cuisinant, baisoient de tems en