Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/197

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j’aimois mieux cet entrepôt-là que point & je m’y tins à tout risque.

Au premier mot la Giraud me devina : cela n’étoit pas difficile. Quand une lettre à porter à de jeunes filles n’auroit pas parlé d’elle-même, mon air sot & embarrassé m’auroit seul décelé. On peut croire que cette commission ne lui donna pas grand plaisir à faire : elle s’en chargea toutefois & l’exécuta fidellement. Le lendemain matin je courus chez elle & j’y trouvai ma réponse. Comme je me pressai de sortir pour l’aller lire & baiser à mon aise ! Cela n’a pas besoin d’être dit ; mais ce qui en a besoin davantage, c’est le parti que prit Mademoiselle Giraud & où j’ai trouvé plus de délicatesse & de modération que je n’en aurois attendu d’elle. Ayant assez de bon sens pour voir qu’avec ses trente-sept ans, ses yeux de lievre, son nez barbouillé, sa voix aigre & sa peau noire, elle n’avoit pas beau jeu contre deux jeunes personnes pleines de grâces & dans tout l’éclat de la beauté, elle ne voulut ni les trahir ni les servir & aima mieux me perdre que de me ménager pour elles.

Il y avoit déjà quelque tems que la Merceret n’ayant aucune nouvelle de sa maîtresse, songeoit à s’en retourner à Fribourg ; elle l’y détermina tout à fait. Elle fit plus ; elle lui fit entendre qu’il seroit bien que quelqu’un la conduisît chez son pere & me proposa. La petite Merceret à qui je ne déplaisois pas non plus, trouva cette idée fort bonne à exécuter. Elles m’en parlerent dès le même jour comme d’une affaire arrangée, & comme je ne trouvois rien qui me déplût dans cette maniere de disposer de moi, j’y consentis, regardant