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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/216

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parce que M. l’ambassadeur entendoit la langue Franque & parloit l’Italien du moins aussi bien que moi. À la sortie de mon Grec je voulus le suivre ; on me retint : ce fut mon tour. M’étant donné pour Parisien, j’étois comme tel sous la juridiction de Son Excellence. Elle me demanda qui j’étois, m’exhorta de lui dire la vérité ; je le lui promis en lui demandant une audience particuliere qui me fut accordée. M. l’Ambassadeur m’emmena dans son cabinet dont il ferma sur nous la porte, & là, me jettant à ses pieds, je lui tins parole. Je n’aurois pas moins dit quand je n’aurois rien promis ; car un continuel besoin d’épanchement met à tout moment mon cœur sur mes levres, & après m’être ouvert sans réserve au musicien Lutold, je n’avois garde de faire le mystérieux avec le Marquis de Bonac. Il fut si content de ma petite histoire & de l’effusion de cœur avec laquelle il vit que je l’avois contée, qu’il me prit par la main, entra chez Madame l’Ambassadrice & me présenta à elle en lui faisant un abrégé de mon récit. Madame de Bonac m’accueillit avec bonté & dit qu’il ne falloit pas me laisser aller avec ce moine Grec. Il fut résolu que je resterois à l’hôtel en attendant qu’on vît ce qu’on pourroit faire de moi. Je voulus aller faire mes adieux à mon pauvre Archimandrite, pour lequel j’avois conçu de l’attachement : on ne me le permit pas. On envoya lui signifier mes arrêts & un quart-d’heure après je vis arriver mon petit sac. M. de la Martiniere secrétaire d’ambassade fut en quelque façon chargé de moi. En me conduisant dans la chambre qui m’étoit destinée, il me dit : Cette chambre a été occupée sous le Comte Du Luc par un homme célebre, du même nom que vous.