Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/228

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partant si elle ne s’arrêteroit pas en Savoye : que si je voulois elle écriroit pour en avoir des nouvelles & que le meilleur parti que j’eusse à prendre étoit de les attendre à Lyon. J’acceptai l’offre : mais je n’osai dire à Mlle. du Châtelet que j’étois pressé de la réponse & que ma petite bourse épuisée ne me laissoit pas en état de l’attendre long-tems. Ce qui me retint n’étoit pas qu’elle m’eût mal reçu. Au contraire, elle m’avoit fait beaucoup de caresses & me traitoit sur un pied d’égalité qui m’ôtoit le courage de lui laisser voir mon état & de descendre du rôle de bonne compagnie à celui d’un malheureux mendiant.

Il me semble de voir assez clairement la suite de tout ce que j’ai marqué dans ce livre. Cependant je crois me rappeller dans le même intervalle un autre voyage de Lyon dont je ne puis marquer la place & où je me trouvai déjà fort à l’étroit : le souvenir des extrémités où j’y fus réduit, ne contribue pas non plus à m’en rappeller agréablement la mémoire. Si j’avois été fait comme un autre, que j’eusse eu le talent d’emprunter & de m’endetter dans mon cabaret, je me serois aisément tiré d’affaire ; mais c’est à quoi mon inaptitude égaloit ma répugnance ; & pour imaginer à quel point vont l’une & l’autre, il suffit de savoir qu’après avoir passé presque toute ma vie dans le mal-être & souvent prêt à manquer de pain, il ne m’est jamais arrivé une seule fois de me faire demander de l’argent par un créancier sans lui en donner à l’instant même. Je n’ai jamais su faire des dettes criardes & j’ai toujours mieux aimé souffrir que devoir.

C’étoit souffrir assurément que d’être réduit à passer la nuit