Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/231

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il étoit obligé de cacher une partie. Il me conduisit dans une petite chambre que j’occupai & où je trouvai beaucoup de musique qu’il avoit copiée. Il m’en donna d’autre à copier, particuliérement la cantate que j’avois chantée & qu’il devoit chanter lui-même dans quelques jours. J’en demeurai là trois ou quatre, à copier tout le tems où je ne mangeois pas ; car de ma vie je ne fus si affamé ni mieux nourri. Il apportoit mes repas lui-même de leur cuisine, & il falloit qu’elle fût bonne, si leur ordinaire valoit le mien. De mes jours je n’eus tant de plaisir à manger, & il faut avouer aussi que ces lippées me venoient fort à propos, car j’étois sec comme du bois. Je travaillois presque d’aussi bon cœur que je mangeois & ce n’est pas peu dire. Il est vrai que je n’étois pas aussi correct que diligent. Quelques jours après M. Rolichon que je rencontrai dans la rue, m’apprit que mes parties avoient rendu la musique inexécutable ; tant elles s’étoient trouvées pleines d’omissions, de duplications & de transpositions. Il faut avouer que j’ai choisi là dans la suite le métier du monde auquel j’étois le moins propre. Non que ma note ne fût belle & que je ne copiasse fort nettement ; mais l’ennui d’un long travail me donne des distractions si grandes, que je passe plus de tems à gratter qu’à noter & que si je n’apporte la plus grande attention à collationner mes parties, elles font toujours manquer l’exécution. Je fis donc très-mal en voulant bien faire & pour aller vite j’allois tout de travers. Cela n’empêcha pas M. Rolichon de me bien traiter jusqu’à la fin & de me donner encore en sortant un petit écu que je ne méritois gueres & qui me remit tout à fait en pied : car peu de jours