LES
CONFESSIONS
DE
J. J. ROUSSEAU.
Ce fut, ce me semble, en 1732 que j’arrivai à Chambéri
comme je viens de le dire, & que je commençai d’être employé
au cadastre pour le service du Roi. J’avois vingt ans
passés, près de vingt-un. J’étois assez formé pour mon âge du
côté de l’esprit ; mais le jugement ne l’étoit gueres, & j’avois
grand besoin des mains dans lesquelles je tombai pour apprendre
à me conduire. Car quelques années d’expérience n’avoient
pu me guérir encore radicalement de mes visions romanesques,
& malgré tous les maux que j’avois soufferts, je connoissois
aussi peu le monde & les hommes que si je n’avois
pas acheté ces instructions.
Je logeai chez moi, c’est-à-dire chez Maman ; mais je ne retrouvai pas ma chambre d’Annecy. Plus de jardin, plus de ruisseau, plus de paysage. La maison qu’elle occupoit étoit sombre & triste & ma chambre étoit la plus sombre & la plus triste de la maison. Un mur pour vue, un cul-de-sac pour